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 » Silence !  » Ce poème m’a pris 7 heures pour l’écrire, sans la moindre pose, sauf aller pisser quand c’est horriblement pressant et encore, j’attend la dernière limite car je trouve que ce besoin physiologique ajoute une espèce de stress et de besoin d’aller vite qui augmente les facultés. Comme la faim, d’ailleurs, j’essaye d’écrire à jeun. Pour que ce soit le corps qui écrive, il faut le sentir et pour le sentir vivre, il faut lui cultiver des besoins et les amplifier par différents moyens. J’écoute de la musique aussi, tout du long, de très variées. Pas de françaises si possible (mais pour ce poème il y avait des exceptions, Thank You Satan et Olivia Ruiz) pour ne pas qu’elles parasitent de mots la voix intérieure (car c’est une voix intérieure qui parle, quand c’est une voix d’emprunt, je le sens sur-le-champ et je me force au silence). Cette musique je les écoute souvent en boucle, peut-être une dizaine de fois de suite pour qu’elle provoque une sorte de transe. Une transe légère et incomplète, car si je tombe trop loin dans cet état là je n’arrive plus à réfléchir, je perds ma lucidité. C’est comme un exercice de funambule, ne tomber ni d’un côté ni de l’autre.
Je suis ailleurs pendant tout ce temps et suis complètement dans un autre monde, indispensable état d’esprit pour me sentir en mesure d’écrire de la poésie. Je fume aussi beaucoup (quelques cigarettes et un peu d’herbe que j’ai fait pousser moi-même, mais assez peu là non plus)
Dans ce tout ce temps, je garde à peu près le cinquième de ce que j’ai écris qui débouchera dans un poème. Il me faut concentrer cinq pages pour n’en garder qu’une.

Heureusement, pendant ces heures, j’en ai écrit 4 autres, des poèmes. Qui sont dans le même ton puisque c’est généralement une même idée autour de laquelle je tourne jusqu’au moment où je parviens à la cracher sur le papier. C’est difficile, combien de fois j’ai vu passer des comètes sans parvenir à les attraper !

Autrefois le retour à l’état « ordinaire » qui suit le poème me plongeait dans une déprime terrible, mais maintenant je crois que je l’ai apprivoisée. Et j’ai appris à trouver de la joie aussi dans ces moments qui appartiennent au quotidien ordinaire.

Inutile de dire que j’ai essayé quelques drogues (et des dures un peu aussi) et qu’aucune n’arrive ne serait-ce qu’à la cheville de ce que je ressens dans ces moments-là. Cette exaltation. Les autres ivresses me paraissent d’une fadeur incroyable à-côté de celle-ci.
C’est un peu comme quand on voit la vie pleinement, tout d’un coup, un rappel à l’ordre magnétique, les choses les plus dérisoires deviennent semblent vibrer d’une vitalité nouvelle. Je pense qu’il faut avoir senti le monde de cette façon pour que la vie ait un sens. Sinon, les gens se cherchent, continuellement et ne parviennent pas à régler leurs problèmes.
Dans ce cheminement, ce rite que je me suis fabriqué, j’apprends aussi à convoquer les âmes pour qu’elles m’inspirent, en quelque sorte, et je sens bien qu’elles sont là. Je sais que l’occidental moyen(occidental que je suis moi aussi) ne comprendrait rien à ce que je raconte ou me prendrait pour un fou. (Mais malheureux ! nous sommes tous fous !), mais généralement, je préfère ne pas dire leur nom de façon inutile. Il y a des choses trop précieuses pour qu’on en parle facilement, à la légère.

Je crois qu’on peut apprivoiser ces facultés, ces rythmes. Depuis 1 semaine je travaillais à ça et il m’a fallu au moins sept nuits sans le moindre résultat, devant une page désespérément blanche, pour que toute la charge émotive coincée dans la gorge remonte d’un seul coup. On ne peut pas chanter tous les jours, c’est impossible (pour ce que j’en sais du moins), d’abord parce que l’énergie demandée est trop grande, et que ces forces ont leurs rythmes comme les marées et on ne peut rester toujours à l’apogée. C’est difficile aussi de dominer son impatience (surtout pour moi). C’est pour cela aussi que les pages blanches me dépriment moins, ou les sentiments d’impuissance. Puisque même quand j’écris pas, j’écris toujours, en esprit. Et je sais que la moindre sensation vécue s’ajoute dans le puits intérieur des émotions, et qui viendra resurgir à un moment ou à un autre sur le papier. Ou non, ça n’a pas énormément d’importance. Tout ne dépend pas de moi. Et surtout, ça ne m’appartient pas. La seule chose qui m’appartienne, c’est la joie d’écrire et du moment que je me cantonne à elle, tout finit par suivre et remonter. Je préfère généralement (mais ce n’est pas chose facile) penser uniquement à l’essentiel tout en me laisser le plus possible aller, car je crois, la chose la plus difficile au monde pour un écrivain, c’est tout simplement se laisser aller à ses facultés. À calquer ses doigts sur la musique qu’il a dans le ventre pour qu’ils ne forment qu’un. S’ils se séparent, les langages se divisent et on arrive au brouillon, au confus, au conflit interne qui mène au silence, à la perte de souffle et à la frustration.
Les muses existent, je vous assure. On ne les a pas inventées pour rien. Le scientifique n’a pas encore mis à sac tout ce qui n’est pas de son domaine. On a une relation avec elles, entités indépendantes, et il faut les respecter. Comme je le disais, tout ne dépend pas de nous. Il faut apprendre aussi à se reposer sur des « forces » extérieures, à leur faire confiance. Ce n’est qu’ainsi qu’elles nous soufflent des mots à l’oreille et que l’imaginaire va plus vite que la compréhension. À ce moment-là le poème peut devenir si profond qu’il est comme un diamant aux facettes innombrables, à chaque relecture il est plus riche et ne lasse jamais. C’est ce que j’aimerais atteindre, pour autant, je ne pense pas y être encore arrivé comme je le voudrais. Et j’espère, d’ailleurs ne jamais y parvenir, c’est le chemin qui est beau, et ensuite, que ferais-je de mon petit moi si j’étais arrivé à destination, à la dernière limite de la nuit où le soleil apparaît ?
C’est un donneur d’énergie, en quelque sorte, sans tomber dans l’ésotérisme occidental douteux. L’écriture a un pouvoir immense, et comme tout pouvoir, il se mérite. On peut le trouver par la sincérité d’abord. On ne peut jamais tromper les muses, elles en savent plus sur nous que nous-même. Le moindre parasitisme de l’ego, la moindre tâche de vanité ou autre, et les muses se retirent elles vous laissent sans la moindre hésitation ni pitié, sans indulgence, dans le vide. Pour autant, les muses sont celles qui insufflent la part abstraite d’un texte, son âme, mais il y a l’autre moitié, sa mathématique, sa construction. Et ça, ça se travaille. Il y a une part de faculté ou de don dans la maîtrise du mot et de la musique, la symétrie (la symétrie est un pilier de la beauté, l’homme est fabriqué symétriquement et c’est pour cette raison que la symétrie lui rappelle instinctivement la beauté) mais il y a surtout, une immense part de travail.
C’est comme un vent qu’on nous souffle et dont tout le travail consiste à bien le diriger, le mettre dans sur les rails des lignes. Ce souffle-là qui serait mal dirigé deviendrait confus et la construction serait de travers, le diamant serait déformé et ne ressemblerait à rien.
Cet art de jongleur consiste à équilibrer les deux, pour que la construction soit idéale. Un parfait équilibre entre cet air immatériel soufflé par les arbres, les choses mystérieuses qui nous entourent et dont il faut être vraiment fou pour penser en avoir percé tous les secrets, un équilibre entre tout ça, et la réflexion, le travail cérébral qui se charge de donner une forme à ce qui n’en a pas.