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Je ne vois que la folie parmi les hommes. Mais j’admire leur énergie vitale quelque part.
En ce qui me concerne, il n’y a plus d’arômes. Il n’y a plus d’attentes. Il n’y a plus d’envie.
On ne peut plus dire que je suis malheureux. Je trouve la vie trop inouïe pour ne pas l’aimer.
J’aimais tant l’émotion, mais j’ai du me perdre moi aussi dans le ballottement du monde.
Je suis comme un ancien feu qui a fait son temps. Les émotions maintenant sont comme des mensonges.
Je regarde les choses sans les voir. J’y devine un morceau de souvenirs.
Je suis devenu si différent. Et je sais pas si la vie renaîtra en moi. Peut-être les ténèbres actuels annoncent-ils une prochaine éclarcie.
Cela fait si longtemps que je porte ce sentiment en moi. Je crois que je l’ai toujours porté. Je suis né avec.
Je croirais volontiers les anciens dogmes, ceux-là qui voyaient la vie terrestre comme un passage transitoire.
Je serais tout enclin à le croire. Mais n’est-ce pas là, une certaine forme d’abandon, de lâcheté ?
Tout s’explique, et tout est vide dans les solutions que proposent la pensée d’aujourd’hui.
Cela fait partie de la même folie. Le bien et le mal, le beau, le laid… tant d’idées qu’il est bon de croire
Mais qui maintenant n’ont plus de sens. Parfois je me dis que l’humanité s’amoindrit et que, comme l’avait écrit Levi-Strauss
Le monde a commencé sans l’homme, et s’achèvera sans lui. Logique implacable.
Aux yeux des peuples indigènes, nous sommes devenus de tels monstres. De tels fous. Comme je sens qu’ils ont raison.
Ce que je sens moi, c’est qu’il n’y a plus la vie.
Non non, ce n’est pas seulement le reflet de mes états d’âme.
Et nous en sommes si habitués que depuis longtemps déjà, nous n’en avons plus conscience
Et bien loin de nous l’idée de nous battre pour cette vie, voire même l’idée de tout combat.
Comme tous les enfants, habitués au goût des arômes artificiels, ne savent plus le véritable goût des fruits.
Il en va de même avec l’homme qui, s’étant habitué à l’insipidité de la vie artificielle, ne connaît plus le goût de la vraie vie.
C’est avec une telle certitude que je dis cela. Je le sais au fond de mes entrailles. La civilisation se dirige vers une insipidité et une virtualisation totale.
Quant à me demander ce qu’est la fameuse vraie vie dont je parle, je ne pourrais la décrire comme ça.
Je sais, c’est facile… Mais ce que je peux dire, c’est que je l’ai connue. Je l’ai connue.
En de rares occasions je l’ai connue et c’est pour cette raison que je ne peux me résoudre, me contenter de cette vie là.
J’ai tenté de lever quelques armes, de me battre contre cette fantômisation, cette dématérialisation de l’homme.
Puis ce qui était un combat est devenue un échappatoire. Mais l’échappatoire est impossible,
L’échappatoire est devenue lassitude, vanité, désastre.
J’ai le sentiment d’être ailleurs, de ne plus vraiment appartenir à ce monde. De n’être plus qu’une âme en perdition. Une âme vaincue. Un fantôme parmi les morts.
Peut-être que ce néant que je recherche est une sorte de sagesse, une évolution bénie.
Peut-être ma quête a t-elle quelque chose d’infiniment plus honorable que la quête ordinaire du plaisir et de son impossible contentement.
Pourtant je les envie silencieusement, parfois.
Et je me surprends à les aimer, là où auparavant je n’avais que de l’amertume, du ressentiment, je commence à les aimer pour ce qu’ils sont.
Même à travers cette grande erreur par laquelle ils pensent vivre.
Malgré que leur vie, le plus souvent, ne se réduit qu’à une longue justification de l’existence.
Là où la vie a besoin d’être justifiée, elle n’est plus.
Voilà peut-être où se situe la vraie vie dont je parlais, elle est là où il n’est plus besoin d’être prouvée. Car elle est là, tout simplement.
Et tout ce qui est vrai n’a pas besoin d’être légitimé.