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« Tout ce que nous avons vu, connu, aperçu, entendu, tout cela existe en nous à notre insu. »
Diderot

Parfois, je me dis que certaines personnes ont une « vie intérieure » si intense qu’elles n’ont presque plus besoin des gens, des activités, des drogues, des ivresses faciles, du travail, du voyage, afin de s’oublier. Je veux dire par là qu’elles n’ont plus besoin de jouer à la vie, la vie est en eux et ils sont la vie.

Elles sont si légères, prêtes à s’envoler, qu’une simple phrase peut suffire à leur décollage.

Ces personnes, sensibles, nerveuses, regardent la vie par le hublot, comme si elles étaient un peu en dehors des choses.

Elles raffolent de la poésie, puisqu’elles baignent dedans. La poésie comme eux ne s’étend pas : un décollage bref, un long vol.

Notre vie est ainsi faîte. Parsemée, du soir jusqu’au matin, de soubresauts du souvenir, d’émergences momentanées, c’est ainsi que dans nos esprits creuse encore vers le ciel intérieur, le poème que nous avons lu il y a quelques jours.

Nous avons refermé le livre, mais l’oiseau a eu le temps de s’envoler des pages. Le parfum tourne autour de nous comme un fantôme. Notre existence quotidienne regorge de ses résurgences.

Pour eux une vue d’ensemble, même fugace, suffit à connaître en profondeur. Ce que nous inoculons dans la réalité, c’est nous-même.

C’est ainsi que Baudelaire, parti en voyage, les yeux parsemés d’étincelles, à voulu rentrer en catastrophe : le vase était déjà plein, c’était trop. Il avait de quoi faire pour mille ans.

C’est ainsi que Rimbaud, lui, est parti en catastrophe.

Je ne sais pas qui je suis. Mais qui, au monde, peut répondre à une telle question ? On peut être sûr de soi, sûr de son rôle à jouer.

Séparez une personne imbue d’elle-même quelques jours du confort, de la sécurité formée par les habitudes, loin de ses repères. Dans un environnement inconnu, au bout de quelques jours, elle ne saura plus qui elle est. Elle n’aura pas trouvé encore à quoi elle peut servir. Si elle ne sert à rien, elle n’est rien. Servitude volontaire…

Un poète, lui, dans un milieu inconnu, retrouvera son ressort. De même qu’il lui faut être prisonnier pour mieux décrire la liberté, il lui faut être sans cesse en contact avec l’inconnu, pour décrire, déployer, exploiter les plis de la réalité comme d’autres exploitent les mines d’or.