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Les fous, nous les casons hors du monde, le temps qu’ils s’y éteignent, l’index sur les lèvres, les fesses posées sur la chaise de plastique décoloré par les centaines d’autres fesses. Comètes passées inaperçues, aucun n’ayant levé le regard à ce moment précis, page d’une vie humaine tournée avant d’avoir été lue, tête brûlée qui se heurte à la circonvolution de la Terre, flamboyante seule, là-haut dans l’atmosphère. La journée se limite à la chasse à la cigarette, aux plateau-repas insipides, aux escaliers à monter, à descendre, à monter de nouveau pour atteindre n’importe quel but, réclamer n’importe quel butin ; aux graffitis qu’on ne remarque plus à force de les croiser, les granules à heure fixe, les lits à remettre à l’endroit chaque matin. Les infirmières sont blindées depuis les orteils jusqu’à l’occiput, mais humaines formidablement. Dehors le monde suit son cours. On se raconte des événements antédiluviens comme s’ils avaient eu lieu hier. Des adversaires cheminent le soir, pénètrent par les prises électriques, infusent dans le téléphone finalement confisqué, les divers interstices sont des promesses de manigances. Chercher un sens est comme tirer sur une ficelle dont on ne verra jamais le bout. Le temps est stoppé, dans la maison refuge tout autant que dans l’esprit de ses habitants. Le présent n’est plus guère autre chose qu’un os. Il n’y a plus rien à y ronger. La conscience subsiste quelque part, en perdition entre les souvenirs qui s’entrechoquent et se multiplient entre eux. On y fait des bulles avec les mémoires, on ne présage rien de l’avenir qui a foutu le camp avant de paraître, les volutes vont et viennent, comme les saisons. Aucun n’a pris le temps de dire adieu à sa raison, à la dérobée éclipsée, tirée sous la surface, leurre gobé par un poisson trop vivace pour de pauvres fous.