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Mais peut-être faut-il traverser.

J’ai lu quelque part, qu’arrivé à certain stade de la sagesse, les rivières ne paraissent plus des rivières, on a touché à l’illusion des choses. Mais, une fois dépassé ce stade, les rivières redeviennent des rivières, et peut-être plus qu’elles ne l’étaient avant, on voit le monde sous un nouveau jour, sous un nouvel émerveillement. Peut-être en suis-je là, finalement.
Blaise Pascal avait dit aussi que quiconque n’avait pas connu ce néant que chaque homme porte au fond de lui, n’avait pas réellement vécu.
Voilà quelques paroles pleines d’espoir, et, ma foi, je serais bien enclin à les croire. Mais le vide, je veux dire, ce véritable vide, est toujours pire que ce qu’on avait crû et il me semble, malgré tout, que j’aurais préféré être ignorant de tout cela. Comme l’ignorant a de la chance ! La réflexion pose son poids sur la vie. A quoi cela sert-il de défaire, les unes après les autres toutes ces illusions qui constellent l’existence, pour après se retrouver peut-être, les yeux ouverts et lucides, mais sur le froid, sur les plaines gelées qui font tout le paysage entourant l’homme qui sait.
J’aimerais tant retrouver ces émotions qui sont au-dessus des émotions, cette plénitude. Ces chants qui endorment le monde.

Oh je n’aurai plus cette exaltation des premiers instants, l’émerveillement d’une sensation nouvelle. Car on s’habitue à tout, à la douleur comme à l’extase, et avec le temps, la vie s’aplanit. Comment défaire alors ce calme plat, faire d’un lac immobile, inerte, un océan à nouveau tempétueux. La solution se trouverait elle dans l’esprit, dans le corps ? On a dit que c’était par l’esprit, ce n’est que par lui qu’on peut toucher du doigt le ciel, à la verticale. Mais il me semble déjà avoir fait le tour des milliers de fois de ce puits dans lequel je suis prisonnier, d’avoir tâté chaque pierre, chaque semblant de fissure, mais rien, toujours aucune ouverture, aucune sortie possible. Alors, épuisé, je me suis assis, au fond de mon puits, à regarder le ciel. Mais cela ne suffisait pas pour m’en extraire, et dans la terre molle des éléments, aucune nouvelle fleur ne poussait, privées qu’elles étaient de toute lumière.

Oh mais l’innocence, une fois perdue, ne peut-être retrouvée. Et les émotions, une fois découvertes, ne peuvent être revécues comme lors de la toute première fois. Alors, les lampes s’éteignent, les comptoirs illuminés ont rendu leur âme et nous sommes seuls, dans la pluie et l’humidité. Enfermés dans un bocal, en proie à la putréfaction de nos yeux, de notre peau.

Peut-être qu’au sortir de cette nouvelle nuit, j’aurais d’autres yeux pour voir, d’autres mains pour sentir. Aussi, un tout nouvel esprit, que la nuit aura fécondé pour moi. Moi qui avais fait fausse route, je me glisserai à nouveau dans les bras d’un vent miraculeux que je ne connaissais plus.
Et les trésors perdus, que je croyais disparu à tout jamais, reviendront plus riches encore, éclairés de mille lumières, produits de milliers d’heures ténébreuses. J’aurai, pour moi, une inspiration renouvelée, un chant continu replié dans mon coeur, comme un talisman. J’aurai, finalement, ce que j’ai toujours désiré, la capacité de mourir pour mieux renaître. Et reconnaître, au creux de la nuit, ces fleurs renouvelées, que j’admirerai avec des yeux neufs, comme la toute première fois.