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« Tout devient merveilleux dans la brume »
O.W.

I

Je les vois danser sur les balustrades
côte à côte et heureux à ce qu’il paraît
j’ai envie de danser moi aussi mais
je n’ai jamais vraiment aimé être heureux
il y a quelque chose de dégueulasse là-dedans
se lâcher comme ils disent
j’aime danser je le fais très bien
mais pas avec tous ces cons
et comme il n’y a que des cons je ne danse jamais
tout de même je prends du plaisir à les regarder
s’échanger du rire du vent de la poussière
et moi je rêve

II

Attablé à la terrasse d’un café
je regarde une fille oblongue
ses bottes rognent sur la chaussée
elle montre son assurance
elle s’imagine que des milliers d’hommes autour
tombent instantanément amoureux d’elle
cette pensée la maintient dans la vie courante
et tout son bonheur sur la terre est bien visible
trop visible pour être honnête
rien ne semble la trahir
elle est beaucoup trop robotisée
elle est belle
elle est importante
elle n’a rien de spécial
elle ne sait rien de tout ce qui peut émerger
une connasse de plus sur la terre
et moi je rêve

III

Demain je vais aller à la banque encaisser des chèques
demain je vais aller chasser le singe à la sarbacane
j’en ai rien à foutre
j’aimerais tout donner à un clochard
au premier passant
ça ne me sert à rien
je n’ai toujours pas compris à quoi ça servait
je n’ai envie ni d’un appartement plus grand
ni d’une sublime voiture
de retour chez moi je bois quelques verres de vin
et fume des cigarettes
je suis seul pour le moment
j’écris à des filles qui se souviennent à peine de mon prénom
elles ne me répondent pas
je m’en fous
je ne suis rien
je me sens heureux

IV

Je leur donne tout de mes cendres
elles répondent elles répondent pas
j’habite au deuxième première porte
ça débouche sur quoi tout ça

V

C’est parti dans les nuages
j’éprouve des bonheurs inconnus et familiers
chaque jour renouvelé
chacune de mes journées est merveilleuse
j’ai peine à y croire

VI

Cette vie est semblable à un rêve
j’en ai tant de ces rêves que je n’y vois plus rien
mes yeux distinguent à peine tout ce qu’il y a de réel
je les écoute parler
j’ai du mal à suivre
j’écoute intensément pourtant
mes pensées sont déjà ailleurs
je me sens comme un oiseau flottant
qui n’a pas appris à se poser
les musiques les livres et les films tous aussi nombreux
que les êtres humains qui habitent la terre
sensation de danser dans les choses et les êtres
je fluctue je marche
je divague sur les eaux
j’erre et j’ai quelques brasiers au-dedans
à entretenir
quelques êtres dont je dois prendre soin

VII

j’ai des milliers de romans dans la tête
pourtant je suis fatigué d’écrire
je voudrais pas y aller crever avant
de les avoir étendu sur le bord
avant de les avoir vu prendre le large
faire leur vie

VII

Tu te lèves le matin tu cours
tu te rhabilles tu te prépares
c’est le grand jour aujourd’hui
grand jour de quoi tu ne sais pas
tu refermes la porte à clé
le froid touche un peu ta joue
tu marches regardes rapidement le ciel
voir s’il ne va pas pleuvoir

VIII

Toujours le même clochard à enjamber
à l’entrée du métro saint-paul
toujours la même masse
dans laquelle déambuler se frayer un chemin
dans le néant comme dans la vie, dense et hystérique
cette masse a tous les jours la même tête
chacun colérique de ne pas valoir un clou
jungle compliquée fiévreuse caduque
l’esprit de la foule fait naître
à la fois la fuite et l’amour dans mon cœur
je ferme parfois le poing dans ma poche
position de combat absolument ridicule
je fais finalement comme les autres
j’erre je dense je pense je travaille j’attends

IX

Il m’arrive de tomber amoureux à la voix au visage
ou même seulement dans le mot
sur l’écran ou dans la vie
simplement sans rien d’autre sans histoire
le tout naissant dans une imagination confuse où se mêlent
ses seins son ventre et le reste de son corps
je l’ai rêvé des milliers de fois avant de l’avoir vécu
je vais dans l’existence comme je chemine dans un rêve
je tente la magie l’enchantement
parfois cela fonctionne et suffit
à me rendre heureux mille fois heureux
parfois ce rêve retombe sur ses deux jambes
la vie et la ville la rue et mon logement
tour à tour me répondent
ils me répondent il est temps
les voilà qui exhaussent mes pensées
je récolte sans efforts les faveurs réelles
que des constructions intérieures ont enfanté

X

Cette ivresse profonde sera multipliée demain
multipliée encore les autres jours

XI

Je sais bien les soucis
les exigences du jour
dressées au-dedans
comme autant de frontières incertaines
d’obstacles inhibants
pourtant je souhaiterais te déplacer
pas même plus haut ou plus loin
mais juste à côté
un mètre à peine peut-être deux
si tu les comptes avec tes doigts
à côté juste là
où tout le reste n’a plus d’importance

XII

J’ai échoué de nombreux amours ils restent là
comme lettres mortes au fond d’un tiroir
que j’ose à peine ouvrir et le jour
à peine levé j’en ressens les stigmates
je suis fidèle comme un chien
je n’ai rien oublié pourtant, rien
rien ne m’effraie plus que l’ordinaire
mais je le connais mieux que tout le reste
c’est lui mon maître
il me conduit je le mords
il me donne des croquettes immangeables
j’ai mille jours identiques pour un seul rescapé
rien d’autre ne m’importe plus que

XIII

J’ai connu une prostituée à Kiev
elle était belle, étudiante
et exploitée
les mafieux veillaient à ce que je dépense
comme il faut mon argent
j’ai regardé son show individuel
quelque chose de très répulsif et d’ensorcelant
régnait tout autour d’elle j’aurais souhaité
l’emmener avec moi
l’extraire de cet enfer
mais une paroi de verre nous séparait
tout un monde entre nous deux
le lendemain elle reprenait les cours à la fac

XIV

J’ai vu un cadavre dans une baie d’Abidjan
il n’avait plus de peau
son pied dépassait d’entre les ordures flottantes
le même jour un réfugié du sierra léone
très jeune et certainement plus vivant
me raconta son histoire
il dormait dans un parc
sans rien que ses quelques vêtements
sa casquette et son passeport
il me disait qu’il attendait de récolter suffisamment
pour se payer le bateau
et rentrer chez lui
il ne me demanda rien que quelques pièces
je lui payai le voyage retour
ses yeux s’illuminèrent c’est certain
j’étais heureux, rarement
j’ai eu le sentiment d’être quelqu’un de bien à ce point
plus tard il m’écrivit sur facebook
il m’appella « l’ange qui lui sauva la vie »
je ne lui ai pas encore répondu

XV

Je rentre à la maison je suis seul et je l’attends
l’attente est généralement ce qui m’angoisse le plus
elle est avec un ami
elle s’amuse elle ne me trompera jamais
c’est elle qui me l’a dit
elle m’a abandonné ça y est
je suis habitué à sa présence, drogue
sans effets secondaires ou si peu
les êtres défilent
les choses défilent
et le soir je la retrouve elle m’aime

XVI

Tout est si éphémère, aérien léger
que je te pardonne volontiers

XVII

Je suis en mesure de justifier ma longue existence dans ses mains
y mourir sans doute plus volontiers que sous un drapeau
une éternité de peines s’efface volontiers de ma mémoire
sitôt que la féerie
sitôt que ses bras
et tant pis
tant pis je cède
cette peau chaque jour est plus neuve
si parfois elle te semble vieillir c’est qu’elle fait semblant
je ne comprends pas tous ces corps qui prennent feu
mon feu à moi n’est pas tant visible
et si j’ai dit que j’étais seul c’est que j’ai menti
je suis au beau milieu des étoiles

XVIII

VISIONS OF LA

Il est l’heure maintenant de dormir
ne disparais pas trop vite où je ne peux plus marcher
ne vas pas trop vite où mes pas ne vont plus
ma vie elle n’est rien qu’un peu de ces chansons infirmes
de la cendre soulevée sur nos chemins intérieurs
j’ai dressé mon amour dans cette déchirure
j’ai exhumé le diamant de ces rêves offensés
je suis comme les autres hommes les autres éphémères
qui vont partout se cogner chercher de la lumière
j’habite la nuit je n’ai que la nuit
pour me raconter ce que c’est que de rester en vie
aveugle incertain ignorant
je ne fais qu’errer de lueur en lueur
et lorsque je l’atteins je brûle comme chacun