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Faire violence

Courir après les libellules
Les tintements vagues
Qui de loin sonnent comme des invitations
Courir après un front très lisse
Très blanc, sous de longs cheveux noirs
Et passer des obstacles qui n’avaient pas lieu d’être

Rêve de moutons électriques

Rachael est là de tout son poids, c’est à dire de pas grand chose. Une plume, au grand max. C’est à peine si le matelas fléchit. Il émane de chaque objet de la chambre une lueur violette, diffusée depuis la rue par les lampes au phosphore. Entre ses doigts le ventre écarlate d’une luciole est consumé lentement, des volutes s’en évadent. Elle pense y rester. Tôt ou tard, ça viendra. C’est dans l’ordre des choses. Les êtres comme elles n’ont pas été conçus pour un séjour prolongé sur la Terre. Avec son poids d’oiseau, elle finira par s’envoler. Broyée entre des mains inattentives, aimantes ou stratèges, peu importe. Elle terminera sa nuit dans les mains d’un chasseur. Le résultat sera le même. Elle rejoindra le paradis électrique. Les âmes vives autour sont nombreuses qui refusent de lui prêter vie. Elle y tient pourtant, depuis le premier jour. Sa mémoire, sans doute créée de toutes pièces. N’en va t-il pas de même pour les hommes ? Comment peuvent-ils être aussi sûrs de la véracité de leurs souvenirs ? Ils tiennent à cette certitude. Elle tient à l’existence. Non moins factice. Non moins poussiéreuse. Et non moins digne d’être vécue.

Les côtés

Sur un point d’équilibre. D’un côté, la cessation revendique son assise, me propose, sur son plateau d’argent, la terminaison de tout, dénuée d’embarras. C’est le confort rond de la capitulation, son appel d’air, guère résistible. C’est le lit déjà fait, où l’on peut s’affaler. C’est l’abdication, avec sa sensation consolante. Le cadeau diffus, l’odeur rance mais familière de cadavre. L’autre côté ne réclame pourtant pas plus d’efforts ni de volontés. Pour l’atteindre il suffit de pointer son attention vers lui. Il est le soi à devenir. À se faire jour. Mais il n’a pas la consolante, la lumière irisée et noire, l’attraction magnétique du premier côté. Voyez déjà comme le premier côté déteint sur le second. Je me tourne vers le second, et ce sont les sensations du premier qui continuent de faire écho en moi. Il semble que la membrane qui sépare les deux côtés ne soit perméable que dans un seul sens.

Fragment

On hésite à livrer au monde nos éparpillements, nos chères et magnanimes étoiles personnelles. C’est qu’elles pourraient décamper d’un coup, en cortèges, sans un geste d’adieu. Sans mot sur le frigo, sans promesse de retour prochain, sans rien. Vexées peut-être d’avoir été livrées à de glabres embûches.
Solidement gainé dans la conque du retenu, on ne court pas grand risque, sinon de voir le prolifique devenir hésitant, l’hésitant devenir interlope un jour, quand le faisceau n’y sera plus, et quand nos petites étoiles personnelles auront terminé de se figer dans la glace. Il n’est pas bien difficile d’ouvrir en grand le cœur, pour le reste, c’est un travail de récoltes et d’offrandes. D’offrandes, surtout.

Dans le retrait

L’inerte m’assaille
Par instants
Confondus nébuleux
Je me défends avec une vaine arme
Dans le retrait

Le Sioux

Un vivant et joueur animal loge en moi
Félicité le meut comme une faim en soi
Dans ma bedaine nul poisson ni oiseau rare
Juste un logement sûr pour sa tête d’hilare

Fier, rusé comme un sioux, rarement raisonnable
Ce farouche gourmet est sans cesse adorable
Sa moue me tient en joue, sa gorge de choucas
Jacasse à la façon d’un diable délicat

Un semblable animal a sa raison de vivre
Au pied de mon chateau, sur la page d’un livre
Quand je traque un poème il va selon mes pas
Au nuage-papier pour me servir d’appât

Électrolytes

Ils ne se parlent plus les hommes ils s’échangent
Les hallucinations de leurs yeux éblouis
Chacun dans sa prison écope l’éboulis
Colle une oreille au mur pour quelques mots étranges

Un vagin gigantesque au ciel fait le roulis
Les haleurs interdits ont déserté la rive
Chacun tient sa lubie sa tangence naïve
Les poètes floués mutilent l’inouï

Leur silence souligne un vaste étranglement
Iront-ils comme moi dans l’excès litigieux
Malhabiles chassant un essor silencieux
Point aveugle où la Terre oscille étrangement

L’éloigné

Un petit rien m’attend après le parapet
Un petit rien cousu de fil d’or par la nuit
Le chiffon laissé là tout inondé de pluie
La mort avec ses tics fin prête à me boucler

J’ai la bouche collée au téton de tristesse
Vois-la se dilater lestée de ses splendeurs
Dieu seul sait la poussière où finissent les pleurs
L’Homme est un animal piégé par la tendresse

Relève

Pour me faire une idée j’ai grimpé la colline
Excitée par le soir par le cri d’un serin
Ce petit rien qui brille a fait monter ma faim
La ville telle quelle en rêvant dodeline

Caressée par la nuit — influence première
Dérogeant tout entière au Soleil et ses mues
Je me dore sans mal d’engeances détenues
Regardez-moi border leur ombre traversière

Sans pouvoir m’empêcher d’y glaner les fleurs noires
Ouvertes à-demi — la Lune les enclenche
Leurs pistils parfumés ont laissé sur ma hanche
Un beau leurre assassin d’attaches dérisoires

Ne cessez pas surtout de les disséminer
L’éclair a tonné clair là-haut dans les nuages
Je m’allonge tranquille au feu de ces mirages
Et garde l’œil ouvert sur la meute inclinée

Simulation


Simulation d’une vision de panneau publicitaire aperçue en rêve

Un pas de plus

Je vais sourd et aveugle
Claudiquant, assommé
Éreinté, couché
Taillé, évidé
Vers l’avenir
Cette « transcendance des hommes sans dieu »

Publication Papier

La publication papier est essentielle. C’est un certificat d’existence. Tamponné, pressé, avec code barre, ISBN et tutti quanti. Le problème est que je ne me sens pas écrivain, ou alors par de courtes intervalles, lorsque je suis parvenu à rendre hommage suffisamment à un écrivain que j’aime, lui retournant un morceau de son corps d’écriture fait mien.

Clous

Qu’est-ce donc qui nous rend si peu libres
en compagnie

Compagnie

Tristesse saccadée
Clapote au grès
Du courant succédé
Et du regret

Très vainement
Balance sentiments
Nouveautés ternes
Trombes et balivernes

Lendemain noir attend
Insolemment
De voir fleurir gâchis
Plis et replis

Arc Électrique

Sans désordre aller succomber
À cet écran émerveillé
Où se côtoient échappements
Foule nombreuse innocemment

Puits infini de phénomènes
Ils viennent et vont en systèmes
L’œil s’y piège très aisément
Cadences et scintillements

Disséminations

Disparu rôde autour du feu subtilement
Le foyer familier manquant au firmament
Aujourd’hui las, quitté sans autres ornements
Omettant s’affirmer dans le renoncement

L’étoile elle a terni les yeux de son miroir
S’effaçant des visions, dérogeant aux prunelles
Pour aller au levant au vent tout de bleu noir
Vêtu du dérisoire et de carmes plurielles

Chiro


J’ai reçu mon livre de Araki

Dieu moqueur

La nuit je prie le Dieu moqueur
De m’accorder émergence
Nuit tout entière passée
Paume contre paume à verser
Prières sans syntaxes
Requêtes sans retenue
Dans les nappes de fumée
Je tire une croix sur le signe
Et prie
Pour que s’exauce un vœu inconnu

Un grand rosier

Je guette et je chasse la nuit, une bête à travers les bois nus, elle me tance, me nargue, je feins de l’ignorer, pour mettre à l’épreuve sa méticulosité. La prise sera sans doute l’aboutissement de ces milliers de rêves assujettis. J’ai frayé avec l’absurde, il ne m’a jamais quitté. Et ma stupeur féconde un grand rosier.

Chasses Fructueuses

Le chat fixe quelque chose
L’inconnu, la nouveauté
Pour lui subsiste toujours
Dans cette somme d’éléments mouvants et sonores
Quelques potentiels de chasses fructueuses

Le soir, je convie l’euphorie à ma table

Le soir, je convie l’euphorie à ma table de travail, dresse le couvert, déploie les stratégies. J’exerce des dialectes mystérieux dans le but avoué de soulever son intérêt, de la soustraire à son inattention. J’arrive à l’heure dite, la maison est prête, jusque dans les moindres détails. Ma faculté d’adaptation a été poussée à son paroxysme afin d’être en mesure de m’ajuster aux soubresauts de l’euphorie, à la plus infime de ses extravagances. Je veux pouvoir lire dans ses yeux au moins une ligne, un mot. Un signe de ponctuation. Un espace. Quelque chose. Peut-être ne se décidera t-elle pas à parler ? Peu importe, je jouerai des claquettes, je ferai danser les brioches au bout de mes fourchettes, ou me replierai dans une langueur qui la fera se sentir moins seule au fond de notre obscurité première.

Surtout seul

Une fine membrane me sépare d’une chose que j’ignore, et c’est avec une éphémère et lente euphorie que je vais à sa rencontre. Cela m’a semblé briller l’espace d’un instant. Pulsar milliseconde. C’est tout. Ça n’est pas rien, quand on est dans le noir, un peu seul. Mais surtout dans le noir. Surtout seul.

Le risque étant

Nous avons pour habitude de miner l’émerveillement, sitôt pris au piège, bord à bord entre deux nuages, tout prêt de convoler avec les nébuleuses, quitte à ne jamais nous en départir, le risque étant.

Mémoire lisse

J’ai la mémoire lisse, au lieu qu’elle soit dentelée, et c’est tout juste si elle est en mesure d’accrocher quelques nuages poreux

Clous

Au réveil
J’étais dénué de bornes

Fainéantise

Sensation d’un univers entier engoncé à l’intérieur. Ma gorge est un barrage, sur le point de fléchir, mais qui ne fléchit jamais. J’ouvre quelques vannes qui ne puisent pas précisément là où se trouve le sac amniotique, que je manque de percer. Elles puisent plutôt à côté, dans quelques cadavres de rivières. C’est moi-même qui me fait manquer la cible, simulant une bourrasque, ou accusant un orage. Je rechigne. J’ai la fainéantise des gens confortés.

À La Volée

En avant, marche ! vers le sublime. Ils nous trouveront demain matin, enlacés dans les hautes herbes, tes cheveux débordant sur ma tête à-demi chauve, ta main sur ma bedaine ursine. Je t’embrasserai à la volée, voie-lactée.