(attention vieillerie prétentieuse)
J’ai ma conception de ce qu’on appelle le « charme » dans la poésie, « l’envoûtement » comme disait Baudelaire, « l’incantation » de Mallarmé ou le chamanisme de Rimbaud.
Il repose sur une formule assez simple, à moitié intuitive, à moitié travaillée : le double sens. Un premier sens survient d’abord, saisi par l’intellect, mais ailleurs, au-dessus ou en-dedans, on choisit, une autre forme de pensée a déjà produit sa magie, imperceptible, le poème qui émettait d’abord une idée toute simple se met à trembler.
Réseau complexe des correspondances.
Le double sens, c’est aussi une voix qui cherche à faire deviner sans jamais avouer.
Les sens justement peuvent se mêler, l’imagination fait sans mal la forme d’une odeur, la couleur d’un son. Elle produit la musique d’un texte. Elle effectue ce travail à l’intérieur, de manière invisible. En dehors de toute cérébralisation.
En évitant de poser un nom sur l’objet, elle en parle bien mieux. Elle le soulève sans l’abattre. Elle le saisi sans le broyer. Elle ne décrit jamais que le halo qui encercle l’astre, jamais l’astre lui-même.
Ensuite, le langage s’approprie ce moyen, cette langue qui lui permet de dire précisément ce qu’il veut dire, justement sans le dire. Et qui laisse aussi à l’imagination les plein pouvoirs de se répandre, l’imagination, en collision avec l’esprit logique, donne naissance au double sens. Le poète a découvert ce secret, puis il l’approfondie, le travaille.
L’âme en quelque sorte (je suis attaché peut-être à ce mot froissé), déplie ses corolles, se met en position d’accueillir l’encre, ce liquide séminal foncé. On ne sait pas pourquoi, on devine seulement, on ne peut pas toucher, on peut regarder uniquement.
Le poème est une entité tout aussi vivante, si ce n’est qu’elle s’épanouit, meurt, renaît en dehors d’elle-même, dans le souvenir oscillatoire du lecteur.
Les poèmes qui ont survécu le filtre du temps, ceux-là qui ont pu se fixer assez profondément dans le souvenir, ont tous quelque chose de l’éclair qui éclate là-haut, ils sont cette moitié d’image qui ne veut pas révéler son tout mystérieux. C’est que les yeux y devinent une profondeur, une correspondance, comme magnétisés par la gravité de l’astre noir, ils n’en réchappent plus. Le poème s’est parfaitement confondu avec la sensation, avec l’expérience immédiate. Il a posé un mot sur ce qui n’a pas encore été décrit, il a changé l’absence en images.
Une image devient belle quand elle est à sa place, en dehors du lieu où elle doit être vue, elle perd son attirance, la mécanique de sa beauté se charge de l’atmosphère qui l’entoure. Ainsi le langage fixe le beau sur le papier, grâce aux mots qui ont le pouvoir de déplacer les beautés du ciel, là où elles ne sont jamais vu, pour les poser sur leur socle, devant le regard. C’est ici qu’elle sera belle, élargie. Pas autre part.
Voici que ma main est commandée par une déesse inconnue, furtive, avancée, virginale, jamais ressemblante, sans cesse nouvelle, qui démodule ses tresses, qui gravite dans les plis des rideaux.
Elle utilise une sensibilité en moi que je maîtrise mal, que je ne peux pas retenir, une curieuse attention, vigilante, discrète, tend son bras invisible et s’agrippe à la déesse. Elle s’introduit, ses pas ne font pas un bruit. Elle arbore l’atmosphère.
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