Le maléfice vaudou se manifestait d’abord sous la forme d’un léger urticaire situé sous le biceps ; n’osant pas se gratter, de peur d’amplifier le mal, il gardait le bras levé afin d’éviter tout frottement. Cela passera bientôt se dit-il. Cela ne passera jamais, c’est une certitude se dit-il désormais. Cela ne fera que s’intensifier et je terminerai ma vie esclave de mon grattoir, de ma gratte-éponge ou d’une quelconque serviette exfoliante en nylon. Voilà tout. La journée avait pourtant bien débutée. Elle n’était pas sensée se terminer ainsi. Pourquoi pas, après tout ? Il avait pris le calme bien trop tôt pour acquis. Il n’avait pas décelé le potentiel de tempêtes dans les plis. Le calme le laissait présager, il aurait dû le savoir. Il n’était pas sensé se rouler ainsi dans la béatitude d’une bête promesse née le matin même, sous le signe distinct d’une tranquillité abasourdie. Il frappe du poing la paume de sa main, tandis que l’urticaire d’origine certainement vaudoue serpente sous ses aisselles. Une nouvelle tache rouge apparaît sur sa cuisse. Je suis la papegai d’un autre et non des moindres, peut-être même qu’ils sont plusieurs à frapper du tambour, à percer de fléchettes une effigie de moi mystérieusement acquise par un être envieux. Les maléficiers redoublent d’efforts. Peut-être des nécromants. Ce qu’ils souhaitent, c’est que je m’écroule ainsi comme un château de cartes, que je pousse mon dernier râle, avant d’essayer sur mon corps inerte quelques nouveaux sorts appris dans des livres qu’on ne trouve pas dans la brocante du quartier. Peut-être sont-ils derrière la porte, ou de l’autre côté du mur, à écouter, à attendre le bruit caractéristique de l’écroulement. Ne pas se gratter, je ne leur offrirai pas ce plaisir, ça non, ils peuvent toujours courir. Me gratter une seule fois ouvrirai la porte à toute une panoplie de démangeaisons, et d’autres supplices dont je n’ai pas même idée. Je sortirai vainqueur de ce mauvais pas, répète t-il, prêt au combat. Il se met debout, écarte légèrement ses jambes positionnées en biais, plie à demi les genoux, place ses mains paume contre paume. On pourrait croire qu’il veut prier, mais ça n’est pas le cas, il mime inconsciemment une position de ju-jitsu aperçue dans un documentaire. À moins qu’il ne s’agisse de yoga. Il respire profondément, se concentre sur son souffle. Il pense fièrement être parvenu à vider son esprit de toute pensée sans réaliser qu’un énorme cortège de réflexions parasites et brouillonnes effectuent des mouvements de brasses sur le plancher océanique de sa conscience, provoquant de perceptibles remous qu’il imagine être simplement le signe de son infinie perceptivité du présent et de l’énergie vitale qui infuse l’univers. Je fais le vide, se dit-il. Je fais le vide et ça m’effraie. Mais ça les fera fuir, aussi. Ça me rendra indigeste. Ils ne voudront pas d’une coquille vide. Le bernard-l’ermite a foutu le camp. Ils passeront à une autre proie. Alors je sortirai vainqueur de tout ceci, se persuade t-il intérieurement. *Il n’y a plus de viande ici, entendez-vous ?* crie t-il aux maléficiers qu’il imagine, l’oreille collée à la cloison, de l’autre côté. *Nulle réponse ?*, bredouille t-il. Quelqu’un allume le plafonnier. *Tu ne dors pas ?*, demande la mère, *Bien, tu as dû faire un mauvais rêve*. La mère prend l’enfant dans ses bras, le dorlote un moment avant de le remettre dans son lit et de retourner dans sa chambre, non sans l’avoir recouvert délicatement d’une chaude couverture. L’enfant trouve le sommeil, réalisant avec satisfaction que tout ceci n’était que le produit de son imagination.
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