Un homme âgé certainement égaré légèrement
absorbé par le phosphore des jardins les enseignes
chacune vide, vaine à sa façon quand bien même éclairées
quand bien même riches et fuyantes
et lui saccadé suffisamment lui dont je ne connais pas le nom
je le regardais marcher au milieu la chaussée comme au milieu des étoiles
c’était un jeudi une voiture arriva donc et percevant le vieillard
au milieu de la chaussée au loin elle décida d’accélérer
c’était à paris il faisait froid et la foule
réchauffait ses doigts comme elle le pouvait
à grand coups d’objets à acheminer chez soi à se mettre sur le corps
toujours plus ou moins brisé
plus ou moins rompu par l’immense succession de vertiges de déchirures
il marchait tout emprunt de la faiblesse de son âge partagé
fatigué exténué de vivre peut-être, repoussé sans cesse
d’un côté puis de l’autre à travers un monde déjà bien peu familier
déjà échappé de ses mains frêles disséminées
pensait-il à un ami dont il n’avait plus de nouvelles, au vent
qui traverse en sifflant les lucarnes d’un rire confus lointain
je ne saurais le dire vraiment
la voiture accéléra jusqu’à ce que le vieil homme
reprit pieds dans la boue d’une rue qui n’a que faire du diamant et de l’or
du temps, des éléments dispersés qui illuminent parfois une existence choisie
promesse évanouie brisée sur le verre coupant du trajet
distant de quelques mètres le vieil homme aperçu la voiture puis son erreur
son couvre-chef à la fois banal si familier et propre et tremblant
peut-être craint-il la pluie à ses heures perdues quand
le soleil finalement n’exerce plus ses rayons jusqu’aux toits
jusqu’au pli soucieux dans le front d’un visage, d’un passant
de passage toujours semblables aux nuages avant les chaleurs
promises d’un printemps tardif et patient
Je le vis effrayé, son esprit d’un coup passer de la lune au terrestre
du couvercle jusqu’au fond du vase et de la nuit
épaisse et lourde sans exutoire où à la fin la folie pénètre
les yeux les tempes, les bras et les replis
les hommes pressés d’aller y vivre et d’aller y crever
terriblement confusément toujours
un grand bond le porta jusqu’au trottoir, la voiture enfin
rassurée d’avoir marqué sa présence, d’avoir réussi son coup
lâche, sans enfance ni tendresse ni élégance elle ralentit
elle ralentit sur son existence à-demi
qu’un automne résiduel recouvre comme une peau, sans doute
un automne exécrable, mauvais sans teneur
où il faut agir communément
où il faut marcher courir, chercher le soleil
partout dans ces rues où il ne va plus et l’autre
prit dans l’ersatz d’une vie circulaire indéfiniment
dont il ne reste que la rage la vengeance perpétuelle
toute nue dans le jour malhabile et crû et inhabité
la voiture enfin s’arrêta quasiment
je suis quelqu’un de bien ce ralentissement retardé semblait vouloir dire
je suis quelqu’un de bien, pousse-toi de mon chemin
il faisait sombre déjà
Dessin : Joseph Vachal – Cri de la masse
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