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On fait mine d’être heureux pour donner bonne figure. Dans un sursaut d’orgueil. Mais on est seul. On a rien. On est rien.
Je suis quelqu’un qui s’invente des histoires, qui se fait des films. Qui s’imagine avoir quelque chose d’intéressant à montrer, à dire. Qui s’imagine que d’autres le lisent. Que d’autres l’aiment. Mais voici que le voile se soulève. À la vérité, je suis juste quelqu’un de seul, de perdu. Quelqu’un qui vieillit. Qui s’invente une mission mystique, mystérieuse afin de, maladroitement, justifier comme il le peut une existence chancelante. Je suis quelqu’un qui a grandi dans les déserts et qui, ne se contentant pas de ces déserts, mais ne pouvant pas en sortir non plus, s’est inventé des oasis, des océans, des corps.
Et, sans nul doute, je continuerai comme ça de longues années, rêveur boiteux, éparpillant quelques mots sur la feuille, parfois sable scintillant, parfois cendre. Si j’écris, c’est pour être aimé. Du moins parfois, m’en offrir la douce et mortelle illusion. Ce que j’écris je le tire d’un autre monde. Je m’invente mes vies. J’existe à travers milles vies à la fois, mille contes, certains grandioses, d’autres cauchemardesques. Je ne suis pas complètement réel. Je n’ai presque plus de corps.
Ne sachant pas trop ce que je vaux, ce que je veux. Cherchant quelques joies ça et là, étant privé des plus habituelles, des plus communes, des plus universelles. Ayant pour seule compagne une solitude absolue et quelques pensées qui tournent en rond. Croisant quelques personnes les instants où je dois me nourrir. La vérité est que je vis en reclu. Voilà ce que je suis au fond. Voilà la vérité toute nue, avec un peu de pudeur tout de même, mais sans fard. La seule vérité qui vaille derrière les mots.
Personne ne s’inquiète. Personne même ne se pose la question. Et c’est très bien ainsi. Je ne demande rien à personne. Laissez-moi. J’ai demandé de l’attention déjà, voire de l’amour. Je n’ai rien connu de tout ça. Jamais. Oh bien sûr il y en aura toujours un pour dire « voilà qu’il nous fait le coup du mal aimé », sans savoir que c’est la simple réalité pourtant et que peut-être, eux-même ne seraient jamais en mesure de vivre la vie que je mène. Car je n’ai pas peur de la solitude comme d’autres, je l’aime aussi, cette solitude. Elle n’est, chez moi, jamais réellement pesante, ni négative. Je m’y trouve bien. Ce ne sera jamais la solitude qui me rendra malheureux. Ce sont les autres qui me rendent malheureux. J’ai la chance je crois, d’avoir un monde intérieur suffisamment riche pour pouvoir remplir ma solitude. Je ne connais pas l’ennui. Je pense trop pour m’ennuyer. Il y a trop de gens et de choses auxquels penser, auxquels réfléchir. Je me rends compte de la chance que j’ai d’être en vie et cela m’empêche de succomber à l’ennui. Les gens qui s’ennuient le sont lorsqu’ils ne trouvent plus, provisoirement, de moyens de diversion pour échapper à la pensée que tout finira. Les instants où ils ne trouvent plus de moyens de diversion sont des moments où ils se retrouvent face à eux-même, face à ce qu’ils sont. Et ça ils détestent. L’idée de la mort ne me dérange pas. Je dirais même que c’est tout le contraire. Je n’en parlerais pas maintenant, pas comme ça. Je l’ai déjà touchée et cela m’a donné une force intérieure. C’est elle qui fait que tout ça est beau autour de soi. Elle ne compte pas plus, pas moins que la vie. Elle est là tout autant. La mort, soeur noire et lumineuse de la vie.
J’avance dans l’existence comme dans un rêve confus. J’extrais parfois quelques pépites. Je ne suis pas dénué de talents. Mais ils sont voués au silence.
Je ne sais pas jouer le rôle de l’existence. Tout me brûle. Les jours qui passent sont des souffles d’oxygène qui viennent nourrir le feu de ma vie.
Je m’imagine parfois que d’autres pensent à moi. Que je compte, pour quelqu’un. Mais je ne compte pour personne. Je le sais, lorsque je suis lucide. On ne peut compter sur personne. Même celles que j’ai pensé ne jamais perdre finalement, s’en fichent pas mal. Mais elles ont raison, après tout. Qui se soucie ?
Tout finit dans le feu. Tout finit par se consumer un jour ou l’autre. On peut juste faire semblant d’être heureux, un peu, parfois.
Quant à moi je suis seul. Seul dans la réalité. Sans mentir. Seul face à ma vérité. Devant le miroir. Mais qui pourrais dire, je l’aime bien finalement. Cet égaré. Ce rêveur tour à tour contristé et exalté, complexe mais si simple, qui songe au paradis perdu qu’il n’a pourtant jamais vécu. Ce sauvage qui vit on ne sait pas trop comment, on ne sait pas trop dans quel monde étrange. Ce type qui a peur des femmes, peur du bonheur. Ce type touchant mais bizarre. Attirant mais douloureux. Fort, quelque part, mais si faible à la fois, si terriblement fragile. Je ne suis pas aveugle. Je me regarde, sans détourner les yeux. Je pose sur moi le regard que moi enfant, j’aurais pu poser sur le moi d’aujourd’hui. Je n’ai pas de honte, je n’ai pas de rancoeur. J’ai un peu de mécontentement, car je sais bien que je ne fais pas les choses comme je pourrais les faire. Je sais bien mes défauts, comme je sais à peu près bien mes qualités. Mais je sais aussi, tout au fond de mon coeur, jusque dans les dernières profondeurs de mes entrailles, je sais que j’ai été fidèle à ce que je suis, que j’ai toujours cette sensibilité qui m’anime. Même si j’ai trébuché, même si parfois peut-être, le funambule n’a pas tenu l’équilibre, même si parfois j’ai commis des erreurs. Elles n’ont jamais été graves. Elles n’ont jamais été méchantes. Je sais que j’ai toujours été ce que je suis, fidèle, gardant le cap. J’ai gardé ce cap qui est le mien, et qui ne sera pas compris facilement. Sous la couche épaisse des jours qui se suivent, je suis toujours là. Je suis seul, je suis triste, à moitié dans la tombe peut-être, fantôme tragique, au passé étrange, à l’avenir douteux. Mais je suis toujours là. Vivant, je suis vivant.