Pour une fois je dirais quelques petites choses.
L’étranger. Voilà une idée qui pourrait me réconforter ce soir. Voilà aussi ce que je suis, ce que je me sens être. Je n’aime pas l’argent. Je n’aime pas non plus la reconnaissance sociale. Je n’aime ni me montrer, ni me sentir meilleur que les autres. Je le fais pourtant de temps en temps, et je m’en veux à moi-même de faire cela. Je préférais autre chose. Je ne peux pas travailler, les récompenses ne m’intéressent pas. Je peux m’y adonner un temps, mais au fur et à mesure j’y perds mes forces, je m’ennuie. Incapable de réelle ambition.
La littérature en général ne fait que dans la littérature, c’est à dire dans les mots, et souvent cela ne me touche pas. Ou bien c’est surexcité, ou prétentieux. Ou ça cherche la phrase parfaite, pointue. On pond des citations pour trouver la gloire instantanée. Gloire de minable.
Quant à moi, 25 ans, et déjà mort. Mort pour avoir trop cherché la vie, va savoir. Mort car je ne parviens pas à être. Car je ne suis rien, et pas mal de choses à la fois, un être diffus, en décomposition lente. J’ai parfois des éclairs bizarres.
Mais si au moins je trouvais cette vérité de moi de temps en temps. En continu. Si je pouvais arrêter de me mentir. Mais c’est le monde qui nous apprend à nous mentir. Sans doute ai-je le privilège de m’en rendre compte, parfois, quand j’ouvre un oeil.
Je cherche, partout, dans les livres, dans ce que disent les gens, une chose dans laquelle je pourrais me retrouver. Je ne me retrouve dans rien. Ni dans la télévision d’ailleurs. J’écoute des discours qui ne me concernent pas. Et quand les choses devraient me concerner, la poésie par exemple, l’écriture, c’est pareil. Je n’ai pas d’idole vivante. Je ne me repose que sur moi-même et c’est bien difficile, croyez-le. Car je suis plutôt fragile, pour jouer le rôle de point d’appui.
Je suis hors de la vie pour de bon. Ce n’est pas une blague de poète maudit. C’est la vérité. Je suis ensorcellé. Et je crois que je perds mon intelligence. Drôle de feu d’artifices mouillé, voilà ce que je suis. Une promesse qui n’a pas été mise à exécution. Je mime la vie du matin au soir, faisant semblant de tout.
J’assiste à mon propre crépuscule avec une joie malsaine.
Le matin quand je me réveille, je laisse mon moi au fond de mon lit, sous la couette. Je pars, somnambule, en attendant le soir, récupérer ce qu’il reste de mon esprit.
Ce que les voleurs ne m’ont pas encore pris.
Je m’invente deux ou trois espoirs, en lesquels je crois, le temps qu’ils durent, jusqu’à ce que je me rende compte qu’ils ne sont que ceci, des espoirs.
Jamais je n’ai entendu mon père, ni ma mère parler de sentiments, de désirs propres. Jamais non plus, je ne me suis senti soutenu dans quoi que ce soit par eux. Mise à part ma deuxième soeur, celle qui habite à Marseille. La seule en fin de compte qui se soucie de mon sort. Celle qui n’a jamais pu travailler, et qui est malade. La seule qui ait un Coeur. J’ai une part d’elle en moi…
Deux forces contraires, continuellement au fond de moi qui avalent mes forces, et qui m’empêchent de voir le monde et d’être.
J’ai parfois des disputes avec les gens, mais très peu. Hélas.
Mais la vie est aussi dans les disputes, dans les tensions. J’aime me disputer car cela me montre à moi-même qu’il subsiste encore un peu d’énergie vitale. Oh je ne crie jamais, dans la vie. Je ne dis pas grand-chose. Quelqu’un qui marche dans le sens contraire du monde, ça ne devrait pas exister.
Peut-être que bientôt je ne sentirais plus rien. Peut-être serai-je amorphe, encore plus qu’aujourd’hui. Peut-être, au contraire, arrivé au bout de mon atonie, je toucherai de trop près la mort et que je reviendrai à la vie. Sans doute pas, j’ai déjà essayé cette stratégie.
C’est un rêve supplémentaire. Comme si je n’en avais pas assez. Qui se soucie ? personne.
Plus de goût pour rien.
Heureusement, maintenant, j’en suis arrivé au stade où je peux appréhender la mort de manière lucide et sans grande gêne. De la peur, oui. J’en ai encore. Beaucoup (une flamme que je n’aurais pas encore étouffé ?). De la crainte. Peur des relations, des sentiments. Des corps. Des conflits. Peur de la vie en fin de compte. Je parle seul, dans un puits, avec ma voix en écho pour unique présence, comme un mirage horrible.
Le mur est devenu trop haut, je crois que je n’en sortirai plus.
Des plaisirs, des joies, j’en ai peu. Je n’en ai pas. Je ne connais pas. Je ne suis pas encore venu au monde. Je ne sais plus pleurer non plus. J’aurais voulu créer quelques lignes qui valent le coup, mais elles ne sont pas à la hauteur. À quelle hauteur ? pourquoi parler de hauteur ? si seulement elles étaient fidèles à ce que je suis comme je le souhaiterais. Je ne voulais pas tricher. J’ai triché, pourtant.
Je remue ma peine au fond de moi, comme dans un creuset, jusqu’à la réduire en poudre obscurcissante. Où est la fée qui m’a promis un jour que la désespérance ne serait jamais pour moi ?
Moi-même je suis corrompu, maladif. J’ai perdu mon rêve, toute beauté.
Contre quoi se révolter ? Contre les moulins à vent ? Je n’en ai plus la force. Je ne crois plus au genre humain. Il me lasse. Le ciel lui-même me lasse.
Je n’ai de la joie qu’un lointain souvenir. Je suis là où je n’aurais jamais voulu être. Je suis là où je me suis rendu par ma propre volonté. Sans doute m’y a-ton poussé, un peu tout de même.
Je me soucie peu.
Je suis passé d’erreur en erreur. De la nuit vers une autre nuit. Cette vie est déjà révolue. Je devine déjà mon avenir, il me semble que tout ce qui m’y attend m’est déjà connu. Déjà vécu avant l’heure.
Je vais mourir à petits feux, comme j’ai déjà bien entamé le processus. Des petits feux avec parfois des étincelles fragiles qui seront vite oubliées. Je veux la mort, je l’attends. Voilà mon vrai désir au fond. Désir ignoble de celui qui s’est laissé vaincre par ce qu’il déteste.
Les musiques entraînantes n’ont plus que de maigres effets sur moi. Un semblant de joie sur un esprit épuisé de retourner toute sa force contre lui-même.
J’ai broyé le soleil quand j’avais dans les mains.
Et pas qu’une seule fois. Toute ma vie, je n’ai fait que ça.
Pourchassant un mirage.
Mais j’aimerais faire un voeu ce soir…. Je serai maintenant fidèle à moi-même. Peut-être pas tout de suite, je veux dire, pas d’un seul coup…Mais un premier lancer, pour commencer. Je ne dirai non pas ce que les autres attendent de voir de moi. Je désire être vrai. Il fût un temps où je ne croyais plus en cette vérité, où je me l’imaginais comme ceci… comme une pure élucubration de l’esprit. Maintenant j’y crois. Fidèle à soi. À son ressenti, quitte à ce qu’il n’y ait aucun ressenti. Accepter la mort et le seul moyen de faire entrer un peu de vie dans son coeur. La lumière n’en a que faire de vivre, si elle n’a pas l’ombre à ses côtés.
Je veux être celui qui n’a rien à perdre. Celui qui n’a plus à faire ses preuves, ni à justifier son existence, ni à justifier ce qu’il est. Justifier ce que nous sommes est la pire des rémissions. C’est le jeu des vrais morts. Je veux vivre tout en sachant que je suis mort. Je veux dire, non plus mimer la vie, mais accepter l’ombre comme une fidèle accompagnatrice. Pour ne pas inonder d’une fausse lumière ce puits où il n’y a que la nuit.
Je préfère être un champ de ruines, plutôt qu’une peinture faussement réjouie.
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