Je parlais bien de la mort.
Oh je me suis bien entêté.
J’ai essayé divers costumes, mais aucun ne me convenait. Oh je ne suis pas dénué de talents, j’ai été plutôt gâté de ce côté-là, si on peut dire. Quoi que ces talents ne m’aient pas servi à grand-chose, dans le sens où ils ne m’auront pas sauvé. J’ai rencontré des gens qui ont souhaité m’aider, j’ai été très chanceux finalement. Une chance incroyable. Mais ça ne suffit pas, car la vie, je l’ai déjà avalée, bien avant de l’avoir goûtée. Oh j’ai toutes les possibilités, j’aurais pu être un grand orateur, un bon chef d’entreprise (quelle vomissure), un grand musicien, un grand romancier, qu’importe. J’ai ces dons là mais je n’ai pas la volonté d’en faire quelque chose avec mes mains.
Je ne sais pas, finalement, quel jour précisément je suis mort. Cela a dû se passer à mon insu, ou lentement. Pas du jour au lendemain, ça c’est sûr. J’ai compris très tôt que crier ou appeler à l’aide ne servirait à rien. On aide pas les autres, on les détruit. Je me souviens qu’à un très jeune âge, peut-être 6 ans, j’ai failli me noyer. Un garçon de seize ans environ m’avait sauvé la vie se jour-là, en venant me repêcher au fond de l’eau. Il était le seul à m’avoir vu me noyer. Je me souviens parfaitement de moi, en train de regarder les bulles au-dessus de moi, de voir la surface des flots s’éloigner. Je ne me rendais pas du tout compte que je mourrais, ou que j’étais sur le point de. Je me souviens de la mère de ce garçon, qui était contente, pas tant parce qu’une vie venait d’être sauvée, ça elle s’en fichait, mais parce que cela lui donnait une bonne occasion d’être fière de son fiston.
À l’âge de 9 ans environ lorsque nous étions monté à la sainte-victoire avec mon père, un ami à lui et ma soeur, j’avais abandonné tout le monde pour aller embrasser la croix qui trône là-haut, sur la montagne. Je l’avais embrassée sur les quatre côtés que forment sa base. Est, ouest, nord, sud, un baiser pour chaque point cardinal. Lorsque je suis redescendu, de loin j’avais vu mon père, son visage dans ses mains, il devait penser que j’étais tombé dans une crevasse. Ma soeur et l’ami de mon père me recherchaient, ils criaient mon prénom à pleins poumons. On voit bien que tout ça a commencé très tôt. Et les choses n’ont pas tellement changées, finalement. L’argile est faîte très tôt, et ne change plus par la suite, à de vagues détails près.
Oh à mon destin, on peut y ajouter quelques grande ailes d’ombre, et bien peu de lumières en veilleuses. Qu’il est dur et long de survivre, de voir les journées s’épaissir, chaque jour comme un tissu supplémentaire par-dessus moi, tout ça pour former cette opacité, cette ombre qui me hante.
Très tôt déjà j’étais en-dehors de l’existence, un pied au-delà. Je n’ai jamais été vraiment ici. La raison en est bien mystérieuse, moi-même, je ne la connais pas vraiment. Il n’existe aucune raison à tout ça. Mais il ne faudra pas tomber des nues, ou bien alors, il fallait être aveugle en me voyant. Peut-être que je n’aime pas la vie finalement. Ou peut-être au contraire, j’aime trop la vie, et tout mon malheur viendrait de là. Je ne peux rien y faire, l’ombre est là, j’ai épuisé tous les secours. Je parais frêle sans doute, mais au fond de moi, je suis bien solide. Pardon à ceux qui ont voulu me connaître, ces personnes vers lesquelles je ne suis pas allé, mais qu’elles ne le regrettent pas, ça ne vaut pas la peine de connaître un mort. Ils auront toute l’éternité pour la connaître, cette mort, qui était là avant, et qui reviendra après nous, reprendre son domaine.
Pour le reste, je pourrais dire sans crainte que je n’aurais rien compris à cette vie. Je n’en vois pas le sens. J’en ai croisé les fleurs, j’en ai rencontré les parfums. Des plus grandioses, sans doute. Mais ça ne pèse pas grand-chose, dans la balance au final. Des fleurs et des parfums, ça pèse rien, comparé à tout le poids immense de la douleur. Un être comme moi n’a, décidément, plus rien à faire ici, dans cette époque, parmi ces gens. J’ai beau regarder le monde, je n’y vois plus l’ombre de la trace de la vie.
On pourrait penser que c’est moi qui suis aveugle. On pourrait croire que je vois le vide partout, car je suis moi-même vide au-dedans de moi. Mais ce n’est pas le cas, croyez le bien. Je crois, et j’en suis sûr même, que la vie a désertée ce monde là. Avec les dieux, peut-être. Du reste, on peut toujours s’inventer des vies, faire semblant de…Se faire une occupation. Faire diversion. Fuir. Fuir quoi ? L’ennui ? Une immobilité, un silence qui signifierait la mort ? Quelle est cette vérité que l’Homme semble fuir à tout instant ? l’idée qu’il devra partir un jour ? Ce serait trop simple, je crois que c’est plus compliqué. Il fuit, il se bande les yeux. Mais il sait bien ce qu’il fuit, cet hypocrite qui fait semblant de ne rien savoir. Ce qu’il fuit, c’est la mort qu’il porte en lui, c’est ce cadavre, cette putréfaction qui était auparavant son enfance, un paradis blanc et pourpre. Alors il peut parler pour couvrir le silence, agir, se montrer devant tous pour justifier sa présence au monde. Quant à moi, je préfère rester seul.
Seul, parce que je ne sais rien. Je ne veux rien savoir, je ne veux rien dire. Je ne souhaite même pas qu’on me comprenne. Un peu d’affection et de gentillesse, ça je crois que je ne le refuserais pas. Si cela pouvait apaiser les tourmentes, ne serait-ce que quelques précieuses minutes. Le temps que la nuit, ma seule amante, vienne me prendre. Pour le reste, je n’ai plus d’yeux pour voir, je n’ai plus de mains pour sentir, ni d’oreilles pour entendre ; je veux seulement que le rêve s’endorme dans son rêve, lui même dans un autre rêve, jusqu’à l’infini.
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