Qu’ai-je fait le 14 Octobre 2005 ? À quoi ai-je pensé ?
Qu’ai-je donc imaginé ? Ai-je rêvé dans la nuit du 13 au 14 Octobre 2005 ? À quoi ?
Ces dates lancées sur le papier sont comme des coups de dès.
Et le 3 Septembre 1996, qu’ai-je fait ? J’étais en vie pourtant. Mais il est impossible de faire remonter à la surface de mon esprit le moindre souvenir de cette journée.
Peut-être ne l’ai-je jamais vécu ? Peut-être n’existais-je pas à cette époque ? Comment apporter la preuve définitive du contraire ?
Le 13 Juillet 1842. Le 9 Février 1998.
Je n’ai de souvenirs ni de l’une ni de l’autre de ces dates. Pourtant, l’une est remplie de mes faits et gestes, l’autre non.
Un autre jour peut-être, une marche sous la pluie, le contact d’une écorce, la vision d’un soleil, le son des clefs dans le vide-poche, qui correspondra, par hasard très précisément à un son entendu ce jour-là, fera s’ébranler les mécanismes poussiéreux et secrets qui peuplent les arcanes de notre mémoire. Une porte s’ouvrira alors, y laissant entrer un invité depuis longtemps oublié, mais sitôt reconnu : un souvenir.
Peut-être est-elle vivante à mon insu. Peut-être que ce jour là, une attention, une parole, un parfum, a planté tout au fond de moi une de ces graines invisibles dont aujourd’hui je ne perçois qu’avec peine la portée et le potentiel de bonheur fertile ?
Revivrais-je cette journée, dans une autre vie ? À la fin de celle-ci ? Est-elle perdue à jamais ?
Un rêveur m’a dit que les étoiles que je regarde mentent sur leur âge.
L’une, je l’observe telle qu’elle était il y a 200 000 années. L’autre, je la regarde telle qu’elle était il y a 43 000 ans. Dès lors, cette voûte étoilée au-dessus de moi est une foire aux illusions, un festival d’anachronismes. Derrière la fixité des étoiles, il y a le chaos du temps pulvérisé.
La lumière reflétée et projetée par la terre, peut-être est-elle toujours en voyage ? De la même façon que j’observe ces étoiles, si, placé à une distance lointaine, j’observe la terre, à l’aide d’un télescope dont la portée n’a pas encore été inventée par la science. La verrais-je telle qu’elle était dans les temps reculés ?
Alors, quelque part dans l’espace se trouvent les images de cette journée que je pensais disparue. Et chacun de mes mouvements laisse une trace dont je n’ai pas conscience. De la même façon qu’il est possible d’observer la lumière des étoiles mortes, il est possible de retrouver l’image des êtres et des choses disparus.
Cette journée ne s’est donc pas définitivement éclipsée. Elle existe, quelque part. Elle voyage sous la forme d’ondes lumineuses. Elle est dans l’oeil, peut-être, de certains êtres lointains qui nous observent avec affection.
Le trois septembre mille neuf cent quatre vingt seize ce devait être trois ou quatre jours avant notre rentrée en seconde. Cette date n’est peut-être pas anodine. Je crois justement que la pensée non-cognitive, cette écriture automatique de l’esprit, est une autre manière de retrouver ces journées perdues. Elles sont là dans nos paroles qui se taisent ou sortent à la volée.