« Connais-toi toi-même »
Maintenir le crépitement, maintenir l’émerveillement… La musique
Je peux regarder en arrière et dire, sans le moindre doute : j’ai su maintenir les feux sacrés. J’ai tenu debout les totems, les colonnes.
Et les nuées de corneilles passent toujours.
On me dit parfois que je suis dans mon rêve. Oui… Et je le resterai jusqu’à la fin. Je sais ce qu’est la lucidité, la perte de l’illusion. Quitte à vivre dans un désert, je préférais vivre dans un désert qui contiendrait au moins un mirage d’oasis. Un rêveur n’est pas un ignorant. Je pense même le contraire. J’ai maintenu l’ardeur, la musique, dans tout. Non pas que mes élévations soient aussi puissantes et verticales qu’auparavant, elles ont dû s’émousser sans doute. Mais elles sont toujours. Elles seront toujours. Il y a certaines choses encore qui sont à moi et à moi seul .
Ce secret qui m’habite et qui fait ma déchirure, ma tension perpétuelle. Ce secret que, moi-même, je ne comprends pas et subi. Je subi sa grâce et sa désolation. Bien au-delà des communes admissions, des images, des souffles terrestres et des habitudes.
J’aime tracer dans le sable un dessin qui sera effacé par le vent, le lendemain. J’aime, après avoir plongé une main dans l’eau, voir le liquide recouvrir en un instant mon absence. Je suis un homme qui attend et qui n’a pas peur de la mort. Je suis quelqu’un qui connaît la valeur des plaisirs de la vie, je sais ce que c’est que le manque, l’ivresse de la douleur. Je suis heureux maintenant. Et ma philosophie tend vers cette idée, à savoir vivre tout en gardant à l’esprit cette chance d’être en vie . Voilà peut-être un des secrets de la vie, de la vie adulte. Vivre en regardant dans les yeux le cadavre de l’enfance porté au fond de soi. La cadavre de l’idéal. Vivre tout de même.
Un auteur a déjà dit qu’en perdant l’idée de la mort, l’Homme a perdu la grâce.
Je me demande où est la grâce aujourd’hui ? La voix des poètes ? Le reste… c’est à dire, autre chose que la croissance économique.
Les questions d’où venons-nous, où allons nous…
Des questions sommes toutes aristocratiques, il ne faut manquer de rien, et sûrement pas de nourritures terrestres, il faut avoir du temps, pour penser.
Je me maintiens sous le voile bizarre du mirage qui fait ce que je suis. « Je suis dans mon trip », toujours, et cela n’a, décidément, pas beaucoup changé.
Je cherche la vérité. Je cherche mon salut. Quelle que soit la divinité, aux yeux du soleil, des rivières, des arbres, de la voûte nocturne.
Aux démystificateurs, je dirais que les élans ne sont pas de simples explosions de l’égo où des épanchements du surplus de libido. C’est un sens supplémentaire accolé à mon coeur, qui me permet de voir un peu plus loin. Regarder le monde et les choses de l’extérieur, comme on observe les mouvements de la rue à travers une fenêtre.
Jamais je ne me suis prostitué à quoi que ce soit. Ni aux élancements communs. Je cherche la pureté, quelque part. La clarté, la lumière. Tout ce que j’ai, je suis prêt à l’abandonner pour cette clarté, cet ensoleillement.
Je suis infiniment reconnaissant pour chaque minute de vie qui m’est accordée ici-bas, maintenant. Je ne sais pas ce qui m’attend. Je n’attends rien. Je vis au jour le jour. Il ne me semble pas que je poursuis un grand but, ou alors, ce but lui-même dirige mes pas à mon insu, le long de cette ligne conductrice invisible à mes pupilles.
J’ai plusieurs fois frôlé la mort, je l’ai même touchée. Plusieurs fois je me suis mis à genoux, avec la certitude que c’était fini. J’ai lâché prise. Plusieurs fois mon « moi » s’est brisé, s’est éparpillé dans le vent et j’étais comme perdu. J’ai connu beaucoup des pires choses qu’il soit donné à l’homme de connaître. Non pas la guerre, non pas la violence dans la chair, mais bien pire, je crois, les violences de l’âme, les écrasements dans le coeur, les désolations intérieures.
J’ai mis du temps à les assimiler, à m’en remettre. Loin de m’avoir détruit, ces expériences de ma jeunesse, maintenant je m’en rends compte, m’ont fortifié et enrichi.
Peut-être même ne m’en suis-je pas remis, mais que j’ai appris à faire avec, malgré tout. Et tout le poids des souvenirs s’est allégé, se redresse à mes côtés, me soutient.
« Connais-toi toi-même »
Et je peux maintenant regarder en moi, sans gêne et sans évasions. Je peux regarder les ruines tout autant que les luxuriances. Je peux m’affronter tel que je suis, dans ma totalité, sans être écrasé, et sans tourner le regard loin de ce que je ne voudrais pas voir. Sans me mentir à moi-même. Combien nous mentons-nous à nous-même sans nous en apercevoir ! Pour sauvegarder notre fierté, et d’autres idioties. Je suis en possession de moi-même et, preuve peut-être que je le suis, je peux en rire, énormément.
Je suis dans mes limites, je ne suis pas au-delà. Je ne cherche pas à me mouvoir en-dehors d’elles. J’ai pris conscience de mes faiblesses. Dans ma terre intérieure je peux aller à l’extrême pôle et repousser encore les frontières, sans les franchir. Je peux aller là où le soleil ne se lève plus. Je peux aller là où le soleil inonde l’horizon. Dans tous les cas, je contemple la vie, détaché et présent tout à la fois.
Plus le temps avance, et plus je me rends compte que je ne me suis pas trompé. Plus je me rends compte que mes sacrifices n’étaient pas une erreur. Je commence, seulement maintenant, à récolter les fruits qui me semblent sans nombre. Sans doute pas infinis. Sans doute, et certainement, je l’espère, la douleur me donnera encore des leçons. Car, si ma peine est toujours immense, elle est devenue mon amie, ma confidente. Les doutes, les désespoirs sont des soutiens, des dons, des forces.
J’aperçois des sourires au fond de la nuit.
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