Aux yeux de la nuit le vent n’obéit jamais
Je me souviens de ce petit chat roux qui se baladait sur les toits et qui venait, parfois, jusqu’à ta lucarne.
Ils ont placardé des affiches, ils l’ont perdu, paraît-il…Est-ce qu’ils l’ont retrouvé, depuis ?
Il me semble que ses maîtres lui avaient mis une clochette autour du cou, mais peut-être que je me trompe. Il avait le miaulement strident du jeune chat pas encore tout à fait mâle. Parfois je me dis que tu devrais prendre un chat, au lien de t’intéresser à ceux des voisins. Cela comblerait un peu ta solitude. Mince, on n’a pas inventé ces tigres miniatures pour rien, quand même… Un compagnon, même animal, ça n’a pas de prix. Seulement, il faudrait bien s’en occuper. Déjà que tu as du mal à t’occuper de toi-même, je te vois mal descendre dans le petit casino d’en-bas pour aller lui acheter des boîtes. Je le vois mal, aussi, ce chat, supporter l’atmosphère saturée de fumées de ta mansarde.
Quoi qu’il y a peu, lorsque j’étais chez Karen, la fille d’origine colombienne dont je t’ai déjà parlé, qui habite l’appartement où était née Edith Piaf (enfin elle était née en-bas, sur le trottoir, d’après la légende)… J’étais sidéré de voir qu’elle possède deux chats dans un petit studio de 20 mètres carrés dans la rue de Belleville, dans son abri. Cette fille, d’ailleurs, je crois qu’elle me manque, je pense souvent à elle. Je n’oserai pas l’appeler. Elle m’a proposé plusieurs fois de venir à une de ces soirées, chez elle. Mais j’ai refusé, prétextant une excuse bidon, tout ça parce que je suis sauvage et timide, si c’est pas malheureux. Ses chats étaient aussi dingues qu’elle, elle les faisait danser en les tenant par le ventre, comme des marionnettes. Ils avaient tellement l’habitude d’être bousculés dans tous les sens qu’ils ne bronchaient pas. Moi, tous mes chats ont toujours été sauvages. Peut-être que c’est moi qui les rends comme ça. Impossible de prendre un de mes chats dans les bras, ils n’aiment pas ça. Non pas qu’ils ne soient pas affectueux, au contraire, seulement, ils font les choses comme ça leur chante. Ce ne sont pas seulement de grosses boules de poils, ils ont gardé un peu de leurs gènes de vie primitive, la vie sauvage.
Ah si, peut-être, j’avais eu un chat roux, un gros chat, mais qui avait disparu, un triste jour. C’était un des rejetons de la chatte que j’ai toujours. Je l’avais peut-être gardé deux ans.
Il n’a jamais été très heureux, il me semble. C’est difficile de garder deux chats, deux, c’est la dualité, c’est la jalousie rapide. J’ai toujours préféré le premier, je crois. Les animaux le sentent, ce sont des experts dans le domaine de l’affectif, ils sentent vite quand ils n’ont pas la préférence, ils ont du mal à se faire à l’idée. Lui, il n’a pas pu et il a fini par décamper. A moins peut-être qu’il ne se soit fait écrasé par un bolide et que ma mère a choisi de ne pas me le dire. Ma mère est très forte, quand il s’agit de me cacher la vérité.
Si tu prenais un chat je pense que tu t’ennuierais moins et que tu ne le regretterais pas. Peut-être que je me trompe. Moi-même je pourrais en prendre un, mais je suis trop attaché au félin qui habite la maison de ma mère pour en prendre un à moi. J’ai du mal à partager mon affection, je suis plutôt exclusif, en fait. Et puis chez moi, c’est petit, et les fenêtres ne donnent pas sur les toits, ce serait une vraie cellule, pour lui, malheureusement. Aucun moyen de lui faire prendre l’air. Toi, il te suffirait de laisser ta fenêtre ouverte pour qu’il puisse mener sa petite vie. Sa petite existence mystérieuse de félin, inconscient qu’il existe et pourtant, si serein, il passe de la vie à la mort, comme un cours d’eau.
Aux yeux des animaux, tout semble tellement naturel. Ils paraissent, toujours, dans une sorte d’extase de la vie. Comme s’ils savaient, secrètement, d’où ils viennent et où ils retournent.
Quant à l’Homme, il suffirait de voir où sa pensée l’a mené, à quelle civilisation il a abouti. Une bien malheureuse et laide civilisation, n’est-ce pas.
Les chats conviennent très bien aux caractères secrets et introvertis. Ils s’accordent toujours avec les créatifs, les romantiques. Quant à moi, je crois que s’ils n’avaient pas été crées, j’aurais été encore plus malheureux.
Il y a peu j’ai rêvé un étrange dialogue. Un ami, qui était une sorte de sage, me disait » regarde, le chat qui se colle contre la vitre pour contempler les ombres qui passent. C’est le même chat qu’avaient connu tes grands-parents et même, dix générations en arrière, c’est le même animal. Il n’a pas changé « .
J’ai mis longtemps à comprendre. Au début j’ai trouvé ça ridicule, maintenant je crois que je commence à deviner ce qu’il voulait dire.
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