Un soir que j’errais lentement dans mes pensées, il m’est venu une illumination : c’est dans les champs magnétiques de la nuit que germe le désir amoureux. C’est là qu’il se fabrique. Plusieurs fois déjà j’en ai eu l’intuition, peut-être même toujours, mais désormais j’en ai la certitude. Ce n’est pas le jour que l’étincelle se produit. C’est la nuit, pendant le rêve. D’un coup, comme ça. Et je ne suis pas profondément amoureux tant que je n’ai pas rêvé d’elle. Cela est vrai aussi pour la musique, je n’ai vraiment aimé une artiste, de toutes mes cellules, que lorsque j’ai rêvé d’elle.
Après avoir rêvé d’une personne, elle reste en moi pour toujours. C’est une certitude. Une part d’elle est en moi, à jamais. Etait-ce son image fabriquée, que je voyais en rêve, qui n’aurait que peu de rapport avec la réalité ? Peu importe, puisque nous savons bien qu’en amour, l’être réel tient peu de place. Son âme m’a t-elle visitée pendant la nuit ?
Comme un magnifique vase de verre sculpté, coloré. Nous l’avons rêvé avant de la voir. Nous ne l’aimons non pas pour ce qu’il est, de la banale matière, mais pour tout le travail qui a changé la matière en œuvre, et pour le symbole. Et le symbole, c’est le monde du rêve.
Je suppose aussi qu’il en est de même pour tout un chacun. Pourtant, je n’ai encore jamais lu ça nulle part. Que le rêve pouvait exprimer le désir caché, oui, mais jamais qu’il en était l’origine.
Alors, à chaque fois que nous aimons, il s’est peut-être produit une de ces correspondances magiques, qui ont lieu parfois d’un pôle à l’autre.
Cette attirance qu’est l’amour serait le l’élément magnétique qui relie les deux pôles que sont le réel et le rêve.
Je ne considère pas le rêve et la réalité comme deux mondes distincts. Je suppose qu’ils sont les deux faces d’un même astre. Il n’y a pas la face clair et concrète d’un côté et la face inconnue, distante de l’autre, il y a seulement un voyage autour de la sphère, que nous effectuons chaque jour, de la même manière que les astres suivent une ellipse autour d’un centre de gravité, nous tournons. Nous gardons un souvenir plus clair et plus vraisemblable de la « phase éveillée », mais la « phase endormie » ne joue pas un rôle moins important dans notre vie. Nous n’en avons pas conscience, bien sûr, car il s’agit du monde de l’abstraction et que tous nos rêves sont comme dissolus dans ce que nous appelons le réel.
Il s’agit de la même chose.
Prenez un lézard, par exemple. Ce lézard n’existe pas. Il mène sa petite vie minutieuse, nous ne savons pas d’où il vient, ni où il va. Nous ne perçons jamais le millième de son mystère, du mystère de toute sa vie d’écailles vertes et de chasses aux insectes. Il n’existe pas. Nous pouvons le saisir, évidemment. Nous pouvons lui parler : il ne nous répondra pas. Il n’est pas dans le même monde que nous. Savons-nous s’il appartient à un monde quelconque ? N’est-il pas étranger à ce concept, inventé par l’homme pour se donner un pied à terre un tant soi peu solide dans le grand abîme de mystères qu’est la vie ? Il est venu, il va s’éteignant. Il a fécondé une fille-lézard, il a déjà préparé sa descendance. Celui qui viendra à sa suite, qui n’est rien d’autre qu’un clone à nos yeux, n’aura rien de plus à nous dire, lorsque nous lui poserons nos questions. Ainsi se déroule la pièce magique, le grand mouvement de va et vient de la vie. Il n’existait pas car il était symbole. Le symbole de ce qu’il y a du lézard en nous.
Je crois que je parle trop de Morphée. Bientôt je me consacrerai plus aux choses terre-à-terre.
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