Tandis que mon corps se désagrège avec lenteur, que les jours semblent, eux, s’accélérer, je suis encore dans un rêve étrange que je n’ai jamais quitté. Je mène une seconde vie qui m’est étrangère.
Dès lors, impuissant, je ne puis qu’écouter. Qu’écrire, lorsque ça n’est plus moi qui pense. J’écoute et, vaguement, j’écris sur le papier des pensées qui me sont étrangères, sitôt déposées.
J’attends, qu’un autre naisse en moi. Devant une grille, sur le pas d’une porte, aux pieds d’une femme qui n’a jamais été. Un voyageur en moi dont je ne connais pas le nom, rapporte des provisions d’un pays lointain.
J’ai peur de ma fin. Cependant cette peur m’alourdi et ne semble pas venir de moi. À mon état naturel, qui est un flottement, je n’ai pas peur de ma fin, je me porte, confusément, dans un espace intérieur.
Être ce que je suis est une tâche impossible. Je ne suis pas. Une brume, peut-être, qui transite d’une ornière à une autre, silencieusement. Je suis égaré. Je n’ai pas, comme d’autres, la faculté d’oubli des métamorphoses qui entretiendrait l’illusion que j’ai toujours été moi. Je suis mélancolie. Je ne le suis plus, car je m’évade.
La nuit. Une sonate au piano. Le bourdonnement d’un moteur au loin. Les pas d’un voisin occupé, qui résonnent dans ma chambre. Les cris de quelques fêtards dans la rue. Tout cela m’est familier, mais semble relever d’une autre existence. J’écoute, la vie, qui veut entrer en moi, la vie quotidienne à laquelle je n’ai jamais bien su appartenir.
Il n’y a guère que l’immobilité qui me rassure, la répétition monotone des événements. Je pourrais revivre le même jour à l’infini, et m’y endormir, m’y intoxiquer, m’engouffrer dans les automatismes, pour ne plus jamais avoir affaire à ces renouveaux non désirés.
Je porte en moi la mémoire d’évènements qui n’ont jamais eu lieu. Je les retrace, les transcris, je les revis jusqu’à satiété, comme on revivrait perpétuellement un rêve choisi. La réalité glisse sur moi, et me parasite. Je n’ai pas tant besoin d’elle autrement que pour respirer et subsister. Pourtant, c’est elle qui me blesse le plus. C’est elle, ma servitude translucide.
Je suis arrivé au point précis où ma vie devait se trouver, à cet instant. Il n’est pas la peine de pleurer. La mémoire est mienne désormais.
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