Chère mère,
Je vais bien vois-tu je me lève, avec le soleil au-dessus de ma tête, des mains invisibles sont là pour soutenir mon visage. Il faisait nuit il y a peu encore mais… La nuit des hommes a foutu le camp quelque part au fond de mon coeur. Prends-tu bien soin du canari s’est-il échappé de sa cage à l’improviste ? Dis moi si le jardin…
Le sais-tu nous irons mourir un jour, toi, moi et toutes ces choses qui nous entourent ne seront guère plus que des souvenirs entassés parmi les autres souvenirs, eux même chassés lentement par le temps, sûrement, implacable… Et lorsque nous serons morts nous seront bien contents. Il n’y aura plus le jardin les iris, ni toutes les autres fleurs mais nous seront consolés. Nous serons morts et satisfaits de l’être, pendant un temps nous écouterons les générations nouvelles nous pleurer, réclamer notre corps et notre esprit comme si, quelque part nous étions uniques à leurs yeux, uniques par l’odeur de la peau, par le timbre de nos voix par nos gestes. Vois-tu ils nous pleureront un moment avant de devoir trouver un travail parcourir la vie de long en large avec son lot de souffrances, ils deviendront comme tous les passants qui courent la mappemonde à la recherche de l’existence…ils nous pleureront un moment puis cette pensée qu’ils ont de nous ils la placeront dans un objet-souvenir inerte un espace vide à remplir de temps en temps de quelques souvenirs ressurgis avant de le laisser s’assécher et de le perdre ou de le laisser à l’abandon dans une vulgaire boutique ou dans un marché aux puces. Un étranger achètera cette trace de nous sans savoir que je suis moi-même dans ce vase enfermé tout entier ce livre cet oreiller en plume d’oie il en fera rien ou si peu de cet objet qui est tout ce qui reste de nous dans ce pauvre bas monde à la merci des oublieux…
Alors il faudra recommencer chère mère et tu seras peut-être un oiseau loin d’ici dans une jungle immense, et moi peut-être un chat ou un autre homme. Je me lasserai de la mort vois-tu j’aurai envie de regoûter à toutes ces choses j’oublierai petit à petit la sensation du soleil sur la peau la souffrance sera estompée j’aurai envie de recommencer le manège, la course à la vie juste pour voir une nouvelle fois, pour y regoûter, retenter le coup. C’est un jeu gigantesque la vie c’est insidieux on en a marre mais on veut tout de même recommencer le tableau sous un autre angle un jour où l’autre, sous d’autres latitudes des couleurs différentes.
Mais le sais-tu j’oublierai peut-être tout de cette vie comme j’ai tout oublié de la précédente, alors, ne m’en veux pas si je t’oublie, c’est le ciel qui a fait les choses comme ça nous passons nous tournons en rond jusqu’à en perdre la tête, le tournis, l’amour et toutes ces choses qui entraînent le monde vers on ne sait où, nulle-part et partout aussi loin que je puisse voir. C’était magnifique tout de même je te le dis déjà en avance, c’est magnifique même les jours où le soleil se voile même si tout est raté c’est toujours magnifique, malgré la mort, ces minutes et ces secondes qui se succèdent, serpentent s’enroulent et se perdent dans le temps.
Et vois-tu je pose un objet ici il ne ressemble à rien, c’est un vulgaire coffret avec quelques mots glissés dedans qui n’ont pas de valeur, pas plus de valeur qu’un poisson dans un bocal de verre, quelques feuilles dans un herbier issues d’une autre vie, je le pose là avec mes pensées près de toi si tu l’emporte dans ta jungle je le retrouverai peut-être dans une autre vie. Alors je n’aurai pas à refaire le même chemin je prendrai l’existence par le bout, j’aurai la vie dans mes mains sans avoir à la chercher dans le vide. Peut-être est-ce vain le penses-tu, mais au moins nous aurons cette trace de nous qui dira nous avons connu le soleil, pensé et même vécu parfois lorsque la teneur du monde était pleine de lumières et lorsque nos coeurs étaient plein de ce monde.
Je vais bien vois-tu je me lève, avec le soleil au-dessus de ma tête, des mains invisibles, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
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