Je creuse en moi. Je détourne les yeux du ciel et je plonge. Certains soirs je touche une corde de l’instrument, d’autres fois je ne trouve rien. Absolument rien. C’est le risque. Les autres qui cherchent en-dehors pourront toujours se rabattre sur les fleurs. Mais moi je ne les ai pas. Si je n’ai rien, je ne peux pas mentir. Lorsque je fais semblant ça se voit tout de suite. Je n’ai que la musique intermittente, le phare cyclique. C’est la chasse de l’indigène, qui peut revenir bredouille. Alors, je laisse tout derrière moi, mes bagages, mes vêtements, mes yeux. Le monde. C’est un coup de dès. Je ne maîtrise plus mon sort. Je peux atteindre une corde et réveiller les esprits qui dorment, engourdis, dans la forêt intérieure, et lancer la musique. Je peux tout aussi bien y entendre quantité de bruits impossibles à démêler. Il m’arrive parfois d’être littéralement assoiffé et de ne trouver qu’une source fatiguée, dont l’eau ne tombe que goutte à goutte. Un désespoir m’envahit alors quand je pense à la mer d’hier.
Une chose est sûre lorsque je regarde à l’intérieur j’y distingue toujours de la lumière, flamme parfois vacillante qui me fait craindre l’obscurité si jamais elle venait à s’éteindre. Mais elle est toujours là, sans doute malgré moi, qui me soutient, qui me murmure qu’il y a, malgré l’immobilité apparente de ma vie, une évolution de mon esprit et de mon coeur, un subtil espoir à préserver. Je cultive en moi quelque chose que beaucoup perdent en route, je le sais. Je ne sais pourquoi j’ai ce don ou, du moins, et plus modestement, ce talent. Il y a quelque chose en moi qui s’apparente peut être à une voix, une lueur, une étoile, une étincelle, peu importe le symbole et l’étiquette, de toute façon illumine et parle, passe et revient toujours. Cette parole a l’orgueil, la fierté des déesses et des muses sauvages, elle ne se lève et danse que lorsque cela lui chante. Il n’existe ni leurres, ni appeaux, ni pièges à loups capables de tromper ses yeux, de tromper son esprit ou d’attraper ses chevilles. Si quelquefois le miracle se produit, si quelque fois elle répond à notre appel, inutile de crier victoire et de se dire que l’on a trouvé la recette. Il est fort à parier que le lendemain, ou lorsque plusieurs jours auront passé, elle disparaîtra de nouveau, de nouveau ira se perdre parmi les ombres immenses de la nuit mystérieuse. Et tous les tambours, tous les feux de joies, tous les festins, les offrandes, rien de tout cela ne sera en mesure de rapprocher ses pas, de rapprocher ses cheveux, le parfum particulier de son immatérielle peau. Non, rien de tout cela. Seulement, d’autres jours passeront, nous y penseront moins. Son souvenir passera parfois dans nos esprits comme des hirondelles , une musique nous la rappellera, ou autre chose. Le voile léger de la mélancolie se posera sur nos pensées. Des jours, peut-être des semaines défileront, tandis qu’il ne se passera rien. Petit à petit le souvenir vivace deviendra ancienne chimère, rêves endormis. L’habitude ternira lentement les espoirs, les chagrins, fantômes brumeux, peupleront subtilement et doucement nos châteaux intérieurs. Orphelins, nous pourront faire mine alors de n’être pas perdus, de connaître notre route parmi les hommes, quelque part, il s’agira d’un jeu d’acteur, un jeu reposant sur l’habitude.
Mais un matin étrange, quelque chose au fond de nous bougera. Une ancienne déesse immobile, que l’on croyait morte, déplacera une main, ouvrira peut-être les yeux. Alors, les couleurs du monde ne seront plus les mêmes.
Mystère infini…
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