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Je pense qu’un des problèmes fondamentaux des poètes contemporains est qu’ils ont dans la tête l’idée d’écrire un poème, lorsqu’ils s’y mettent, et qu’ils traînent comme un boulet. Un genre d’erreur fondamentale, un vice de procédure.
Et de fait, cela se voit, comme un poteau rose planté dans le texte avec inscrit dessus « Attention, poésie ».
Pour quelles raisons mystérieuses aurions nous besoin de ce signal, lancé à coups d’ombre, de corps, de cris, d’oiseaux, de souffle
Doit-il être incompréhensible, indigeste, pour être en mesure de porter l’étiquette « poésie » ?
quand la poésie peut être plus puissante dans quelques mots plus simples, déchargés d’un endroit du cœur plus profond
imprégnés de sueurs, de sang et d’humain, plutôt que de bois mort, de léthargies, de grandes lettres bourgeoises ennuyées ou de jeunes lassés
quand il y a plus de poésie dans un cœur simple que dans un cerveau compliqué ?
quand la caractéristique essentielle de la poésie, c’est cet espace magique où la langue multiplie l’existence

Est-ce qu’un joueur de cricket va se dire, dans les vestiaires, juste avant d’entrer sur le terrain : « Allez, je vais jouer au cricket » ?
pensée ridicule, inhibante qui lui couperait les jambes ?
et malgré le vers libre ces poètes ne sont pas libres
ils surnagent dans une simili liberté
incapables d’admettre que s’ils ne sont pas lus, c’est que leurs textes indigestes n’inspirent aucune envie
n’allument aucun feu pour éclairer la vie
et dans leur condition d’ilotes ils veulent voir
mais ne voient rien
la condition préalable étant de mettre sa peau sur la table
de laisser la mort raconter ce que c’est que d’être en vie
plutôt que d’enchaîner les offrandes mesquines
dont ni les muses ni les lecteurs ne veulent