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Tout ceci avance, passe, ce voile légèrement visible, sur un visage, parfois radieux, parfois éclairé par un sourire innocent, le plus souvent figé dans une attente perpétuelle, vague, sans raison, sans les occurrences, même minimes, lesquelles pourraient distinctement illuminer l’œil, désormais riche des reflets des lunes alentours, qui ne sont jamais plus belles qu’à travers une larme sans objet. Quelques paroles, désuètes, pleines d’un sens qui me reste étranger, s’échappent en volutes, avant de disparaître, puis de reparaître plus loin, dans d’autres mots que je ne comprenais pas, eux non plus. Sachant tout cela oublié, perdu quelque part, dans les territoires lointains, ou profondément enfouis en moi-même, mon esprit, dénué de forces seul, en attente qu’un processus indépendant de sa volonté s’anime seul, remarche, se relance tant bien que mal, doucement tout d’abord, avant d’atteindre sa vitesse de croisière, sur les flots qui lui feront visiter d’autres territoires, bien différents de la chambre, la même, désuète, vaisseau du rêve, forteresse, échappatoire exigu, ennui. Échappé et vivant, avant d’aller plus tard mourir, caché derrière un arbre, à la manière des chats, rendre silence, préparer le lit où se couchera le prochain corps, un remerciement si intense qu’il réprime la douleur, l’absence visible de consolation.
Dans le berceau des étoiles, pénètre en convulsant, un cœur, dénué, laissé, inconnu, qui se regarde s’épanouir à l’autre bout de ce monde, ailleurs, les forces vitales qu’il a engagé, les minutes fabuleuses dont il a fait don, et dont il ne réalisera jamais la fertilité, lui-même aveugle et figé, lui-même manteau glacé, mais doux, qui recouvre les autres étoiles, fragiles et pourtant reconnaissantes, frémissantes encore dans la lumière bleue, ou prises au piège d’autres étoiles plus nombreuses.

Dessin : Fernand Khnopff