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Nous ne sommes pas si différents dans ce cheminement, je le pense, car je m’y retrouve, j’y vois une sorte de miroir. Grossissant.
Mais je n’ai pas ta « nervosité », ta vitesse que j’envie, ta capacité à prendre le risque à prendre le pouvoir violemment, mais que je sais hors de ma portée et de ma nature.
J’écris pour me détruire et pour taire le monde.
Pour me détruire jusqu’à ce point où je me retrouve.
Pour taire le monde jusqu’au seuil où je le réinvente.
Pour chasser une peur qui me ronge.
Qui me fait fuir à tel point que je maîtrise l’évitement à la quasi perfection.
Et je coupe le cordon ombilical qui me lie au réel avec une atroce facilité.
mon travail d’écriture a pour but de m’affranchir de la terreur de disparaître de voir les autres disparaître y faire face
en allant droit par l’écriture vers ce que tout le jour on tourne le dos
et de mettre au monde une œuvre diaboliquement sublime que je sais porter mais dont je ne me sens pas toujours avec certitude
être capable de l’extirper effectivement car cela demande des forces des énergies phénoménales
un dépassement, une capacité d’écoute capacité ouvrière de transcription de ce qui se déroule dans les ondes et dans les cœurs
toutes ces forces dont je ne dispose pas naturellement et qui me pousse à recourir, à aller chercher aller voler dans tous ceux
susceptibles d’alimenter le feu qui me hante
exprimer la misère de l’homme hier, aujourd’hui, plus tard, la vie la mort des êtres
leur absence à eux-mêmes et la méconnaissance de ce qu’ils sont de ce qu’ils ont été
de ce qu’ils habitent
par le travail du style de la langue accordée parfaitement avec les fluctuations intérieures
j’aime à l’infini tout ce qui me rappelle que je ne suis rien de cet être conditionné et que « la vie est absente »
l’écriture est une arme de guerre contre ceci. une arme pour retrouver par une succession d’émergences
la mort de toute chose et leur renaissance féerique, lumineuse, multipliée démesurée
En ce sens la mort est ma primitive inspiratrice et recèle toute la grâce nue qui habite les cœurs, les gestes et le potentiel de beauté féconde dans les êtres.
Elle ne m’est jamais véritablement morbide.
Je te l’ai dit dans un message précédent, tu as la liberté intérieure et la douleur des déracinés (je ne connaissais pas ton histoire avant de dire cela), cela se devine.
Quand je dis déraciné je veux dire : déchiré, coupé, aux origines contradictoires, multiples
et ton travail semble d’abord consister à t’inscrire de toutes tes forces dans cette histoire perdue, à exister à rattraper les choses brisées
comme pour venger ou répondre au désir secret qu’un parent ou un aïeul a déposé en toi
je ne suis pas certain que tu en saisisses encore tout à fait le sens et la finalité
mais ça n’est pas plus mal parfois ne pas savoir tout de suite, savoir et saisir est souvent inhibant, amoindrissant en apparence
comme tout ce qui réellement libérateur et enrichissant nous pousse à nous taire
c’est aux autres d’abord de démêler l’histoire le pourquoi et le comment, de nous faire voir, on ne sait pas naître tout seul
Pour ma part j’ai le poids de tous les fantômes auxquels je suis enchaîné.
J’y suis enchaîné et pour rien au monde je voudrais couper ces chaînes.
Je suis inscrit coûte que coûte dans une continuité.
Je porte baudelaire dans mon ventre, pessoa, verlaine, aragon, beckett, rimbaud, tsvetaïeva, apollinaire, céline, proust…
et quelques autres vivants dont je tairai le nom
et quelques autres à venir
À tel point qu’ils semblent y vivre, ils habitent ma mythologie personnelle et si je ne suis rien que de la poussière
j’ai tout de même cette envie indocile de leur rendre hommage perpétuellement
dans un immense merci, absolument sincère et entier qui prendrait la forme d’un livre ou de plusieurs
pour ce qu’ils m’ont apporté pour tout ce qu’ils m’ont sauvé